16 mai [1849], mercredi après-midi, 3 h.
Je viens d’envoyer chez toi, mon bien aimé, savoir comment tu allais car mon inquiétude allait [commentant ?] ton retour plutôt hier et avec une voiture comme une presque certitude que tu étais sérieusement malade. Il paraît que, grâce à Dieu, je me suis trompée et que tu vas mieux, au contraire, d’après le dire de ta cuisinière. J’en suis bien heureuse et j’oublie dans ma joie reconnaissante les deux heures d’angoisse que je viens de passer. Jusqu’à l’heure où tu avais promis de venir, j’ai fait assez bonne contenance, mais l’heure une fois passée, je ne me connaissais plus et il me semblait que les battements de mon cœur se faisaient avec un fer rouge. Dieu merci tu vas bien, tout est oublié et je t’attends avec un nouveau courage. Il est probable cependant que tu ne pourras pas sortir aujourd’hui ? Pour ma part et malgré le bonheur que j’ai à être avec toi, je ne te le conseillerais pas à cause du mauvais temps. Je t’attendrai habillée jusqu’à cinq heures après quoi je m’intercalerai dans ma robe de chambre et dans mes pantoufles. En attendant, je me CORMODE de tous les côtés car tout se lézarde autour de moi, sur moi et dans moi. C’est à ce point que je n’ai pas encore lu les journaux et que je ne t’avais encore rien gribouillé depuis hier au soir. Du reste, il paraît, d’après ce que m’a dit Auguste Pierceau que les nouvelles du scrutin ne sont pas bonnes [1]. Décidément, le bon Dieu arbore le drapeau rouge et la république idem. Quant à moi, je n’ai pas d’autre ambition que de t’emmener bien loin et de laisser ma belle patrie se tirer de là comme elle pourra. Cela lui apprendra à voter rouge. En attendant, tout cela n’est pas ROSE et j’ai une peur affreuse de ce qui va se passer.
Juliette
MVHP, MS a8210
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine