Jersey, 18 mai 1855, vendredi après-midi, 1 h.
C’est peut-être parce que je sais que je ne te verrai pas avant ce soir, mon cher petit homme, que je suis toute déconfiturée et toute triste ce tantôt. Il faut pourtant que je reprenne courage, ne fût-cea que pour me débarbouiller un peu. Pour comble de regret, je ne t’ai pas vu hier au soir, quoique que tu aies pris la peine de venir. Si j’étais sûre en t’attendant debout ne pas manquer cette chère occasion tous les soirs, je ne me coucherais pas. Mais j’ai si peu de chance que, chaque fois que j’ai prolongé la veillée, tu n’es pas venu. Aussi de dépit, je me couche dès que vient dix heures au risque de bisquer tout le reste de la nuit. Heureusement que j’ai l’espoir de pouvoir boire à la grand’ tasse Asplet [1] un peu de votre présence, de votre gaîté et de vos rayons, ce soir. En attendant je viens de voir passer le couple machin. Fichtre, si c’est avec ses journées d’ouvrière que Mme Florence peut se procurer des toilettes aussi transcendantesb, je demande la recette et la manière de m’en servir ne fût-cec que pour me requinquer un peu. Jésus-Christ, ses trois pains et les cinq goujons n’étaient que de la Saint-Jean auprès des merveilles de multiplication des demi-shillingsd de cette dame convertise en chapeaux, en marquise [2], en volants et voilettes. Ce que c’est pourtant que l’industrie, c’est décidément plus productif que l’amour !
Juliette
BnF, Mss, NAF 16376, f. 209-210
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa
a) « fusse ».
b) « trascendantes ».
c) « fusse ».
d) « shilling ».
e) « converti ».