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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1835 > BnF, Mss, NAF 16323, f. 30-31

Jeudi, 2 h. moins ¼ après midia

Je viens seulement de déjeuner. Je suis faite comme une sorcière depuis ce matin 8 h. ½. Je suis dans la poussière jusque par-dessus la maison. Je ne m’excuse pas de ne pas t’avoir écrit plus tôt, car travailler, avoir les mains sales et la figure noire, c’est penser à toi, c’est t’aimer. Je ne prends pas même le temps d’envoyer chercher du papier, je t’écris sur deux feuilles détachées. Seulement, il n’y a ni givre, ni vent pour les rendre poétiques. Telles qu’elles seront, je te les donne avec mille et mille tendresses, des boisseaux de baisers et de l’amour, plus qu’elles n’en peuvent contenir.
J’ai vu tout notre monde plus la mercière de la rue de l’Échiquier. J’ai réussi à les renvoyer presque contents. La couturière sera prête samedi matin. Tu vois que les occupations du ménage ne m’empêchent pas de faire tes affaires.
Mon bon cher ange, je t’ai bien aimé, j’ai bien travailléb. Je suis noire et laide à faire peur. Vous disiez hier que je n’étais pas capable de manger de la terre par amour pour vous, je crois sans fanfaronnadec que je suis en bon train, ayant déjà avalé douze boisseaux de poussière depuis ce matin. Vous voyez bien que vous ne savez ce que vous dites quand vous parlez d’impossibilités. En amour, il n’y en a pas.
Mon cher petit Toto, je n’ose pas vous baiser avec mes lèvres noires, on dirait que le livre de Maynard [1] a déteint sur moi. Enfin, à la couleur près, je suis la même qu’hier, c’est-à-dire que je vous adore.

Votre fidèle caca.

BnF, Mss, NAF 16323, f. 30-31
Transcription de Jeanne Stranart et Véronique Cantos assistées de Florence Naugrette

a) « 2 » est ajouté en haut de la troisième page de la lettre qui se compose de deux « feuilles détachées ». Il se peut que Juliette Drouet, ou une autre personne, ait annoté la lettre.
b) « travailléé ».
c) « fanfarronnade ».

Notes

[1L’ouvrage de Louis de Maynard de Queilhe, Outremer, paru en 1835 chez Renduel en deux volumes in-folio, est un des premiers romans antillais. Il aborde une période charnière de l’histoire des Antilles : les années 1829 à 1831. Le trait d’humour de Juliette « je n’ose pas vous baiser avec mes lèvres noires, on dirait que le livre de Maynard a déteint sur moi » vient du fait que l’auteur est martiniquais et qu’il relate la vie des Antillais.

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