Guernesey, 2 juillet 1862, mercredi, 4 h. après midi
Mon pauvre doux adoré, pourquoi ne puis-je pas prendre ma part de ta fatigue et t’alléger le fardeau du succès et de la gloire en te laissant te reposer un peu dans l’apothéose admirative que te fait l’humanité toute entière [1] ? Pourquoi ne suis-je bonne qu’à t’aimer ? That is the question que je fais à Dieu en lui reprochant de n’avoir pas mis mon intelligence et mes forces d’accord avec mon amour. Mais ce dépit contre lui et contre moi ne t’avance à rien et ne t’empêchera pas d’avoir tous les jours un monceau de lettres à répondre et un surcroît de fatigue s’ajoutant à celle que tu as accumulée depuis un an. Voilà ce qui est navrant pour mon cœur. J’avoue qu’en dehors de tout amour-propre je voudrais pour la moitié de ce qui me reste à vivre avoir assez d’esprit pendant quinze jours pour t’aider à défalquer à chacun le DISCOMPTE de leur admiration que tous te paient cependant à plein cœur et sans marchander. Ne pouvant pas même t’aider dans cette besogne, je retourne à mon amour au risque de t’en ennuyer.
BNF, Mss, NAF 16383, f. 168
Transcription de Camille Guicheteau assistée de Guy Rosa