Guernesey, 18 mai 1862, dimanche matin, 7 h.
Bonjour, mon ineffable bien-aimé, bonjour, que Dieu te garde en gloire, en santé, en bonheur dans cette vie. Moi, je te garde, mon amour, pour l’éternité. Je n’ai pas pu t’embrasser ni même te serrer la main hier, pendant que tu te baignais les yeux, au moment de partir, Mme Engelson ayant pris à tâche de me retenir pour me dire deux ou trois banalités de politesse dont je me serais très bien passée. Je la soupçonne d’y avoir mis un peu de malice et je la lui pardonne, à la condition qu’elle s’arrêtera là. Ce petit incident dont tu ne t’es même pas aperçu m’a assez vivement contrariée pour que je me sois couchée assez tristement. Je ne veux pourtant pas attribuer à cette petite déconvenue de mon cœur la mauvaise nuit que j’ai passéea car cela ne serait pas vrai. J’ai eu mon pyrosis [1] très violemment, ce qu’il était facile de prévoir après ma mauvaise digestion de la veille ; puis, par la même raison, j’ai très peu et très mal dormi. Mais je ne souffre plus ce matin et pourvu que tu aies passé une bonne nuit, que tu te portes bien et que tu m’aimes, je suis la plus heureuse et la plus gaillarde des Jujus passées, présentes et futures et je t’adore.
BNF, Mss, NAF 16383, f. 126
Transcription de Camille Guicheteau assistée de Guy Rosa
a) « passé ».