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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 23 janvier 1855, mardi après-midi, 3 h.

Je ne suis pas prête de vous revoir, mon cher petit Toto, s’il faut que j’attende la distribution des lettres que le packet [1], dit-on, n’apportera pas avant six heures ce soir. Cette perspective n’est rien moins gaie. Aussi je ne trouve pas le plus petit mot pour rire, même à propos de votre mouchoir ACCUSATEUR [2]. Du reste, je n’ai pas eu besoin de l’auxiliaire IAGOa pour deviner votre trahison. Mais je vous préviens que ma jalousie non plus ne se mouche pas du pied et qu’il pourra bien, vous en cuire sans ÔTER L’EAU de mon vin. Fichtre c’est un peu fort de TRAVERSIN que de m’apporter vous-même la preuve dégoûtante du DES LITS. Cette naïveté ou cette audace me rend NOIRE d’indignation et je vous traiterai de Turc à MAURE. En attendant, je perds le peu d’esprit que j’ai à vouloir deviner le NOM de l’intrigue que je tiens ou peu s’en faut. Tout cela n’empêche pas le brouillard de tomber et mon impatience de grelotter en vous attendant. Et puis j’ai mal arrangé ma journée. Je suis toute empêtrée d’ennui. N’importe, je tiens à remplir cette maussade restitus quand ce ne serait qu’avec ma stupidité. Cela vous apprendra à me mettre mouchoir en tête. Après cela c’est peut-être madame Chaumontel qui vous l’a prêté ou le carabinier de Charles, ce qui ne le rendrait pas plus amusant ? Oh ! décidément, il faut que je secoue cette stupidité humide qui me glace l’esprit et le cœur. Cher adoré, je t’aime. Je te crois incapable de me tromper après tout ce qu’il y a eu entre nous de douleurs et d’épreuves de toutes sortes. Aussi je badine avec moi-même quand je parle de jalousie. Non, je ne suis pas jalouse. Je ne veux pas l’être, je ne peux pas l’être, puisque je t’aime et que tu me souris. Seulement, j’ai eu tort d’essayer de faire cette maussade plaisanterie qui n’a même pas l’esprit pour excuse. Je t’en demande pardon et je me jette à tes sacrés genoux pour l’obtenir. Maintenant, viens si tu peux et mouche-toi si tu l’oses [3]. Je t’attends et je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16376, f. 42-43
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa.


a) « Jago ».

Notes

[1Packet ou packet-boat : le bateau postal et de voyageurs.

[2Parodie d’Othello de Shakespeare : le mouchoir de Desdémone, trouvé chez un autre homme, lui attire les foudres de son mari Othello, dont la jalousie est attisée par le traître Iago.

[3« Devine si tu peux, et choisis si tu l’oses », citation de Corneille (Héraclius).

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