Paris, 2 juin 1882, vendredi matin, 10 h.
Cher adoré, je vais donc enfin pouvoir satisfaire mon cœur après avoir trimé comme un pauvre chien de berger toute la journée d’hier ! Ça n’est pas malheureux ; vraiment ! Mais les devoirs domestiques s’accumulent dans ta maison de minute en minute au point de m’en faire perdre la tramontane. Et penser que je n’ai pas encore pu achever la lecture de Torquemada ! À ce propos j’ai vu Lesclide tout à l’heure qui venait se mettre à ta disposition pour ta copie sur les juifs [1]. Il m’a prié de te dire que le journal Le Gauloisa [2], qui s’est tout d’abord occupé de la souscription pour leur venir en aide, et qui a déjà réunib la somme de quatre cents mille francs te fait demander, au cas où cela te conviendrait, de verser en ton nom la somme de cinq cents francs pour le droit de publier le premier ce que tu auras écrit à ce sujet. J’ai répondu à Lesclide que je te ferais part de la proposition sur laquelle je n’avais personnellement aucune opinion. Mais, entre nous, je peux me permettre de penser que Le Rappel pourrait en être très chagrin et que s’il ne s’agit que de verser cinq cents francs pour cette primeur humanitaire il peut autant que n’importe quel journal les verser en monnaie ayant cours. Si je me trompe, ce qui n’est pas impossible, tu es à même de m’envoyer promener sans qu’il t’en coûte rien. Cher adoré tu vois par ce long verbiage que je suis forcée d’écourter toutes mes tendresses pour arriver à nouer les deux bouts de ma matinée avant l’heure du déjeuner. Je te fais penser que tu n’as pas payé les gages de ces dames ni le mois du coiffeur que Célanie m’a avancé. Le tout montant à 205 F., tu serais bien gentil d’en donner l’argent aujourd’hui même. Tu n’as pas de Sénat avant mardi prochain à 2 heures. Mais tu as mon adoration éternelle et sempiternelle. ATTRAPÉc !
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16403, f. 100-101
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
a) « Le Gaullois ».
b) « réunie ».
c) « ATTRAPPÉ ».