Guernesey, 14 janvier 1861, lundi matin, 9 h.
Bonjour, mon cher petit homme, bonjour le plus doux, le plus tendre, le meilleur que mon âme puisse t’envoyer. Bonjour, mon adoré. Comment vas-tu ce matin, mon pauvre petit souffrant ? Comment as-tu passé la nuit [1] ? Si j’en juge par le désir que j’en ai, tu as du bien dormir et ne pas souffrir du tout mais, hélas ! Je sais trop par expérience que ces désirs-là, quelque ardents qu’ils soient, n’empêchent pas le mal quand il s’obstine à demeurer dans l’être aimé. Aussi mon pauvre adoré, je ne préjuge rien avant de t’avoir vu, dans la crainte de me livrer à une joie non motivée. Je t’attends avec toute l’impatience de mon cœur et je t’adore de toute mon âme.
Ta petite belle-soeur [2] était ce matin dans le jardin, une brochure à la main comme toujours, probablement une méthode d’enseignement anglais qu’elle parait étudier avec une profonde attention au point d’oublier les brumes et l’humidité de la mer et du jardin qui lui tombe directement sur la tête nue. Tu ferais bien de l’avertir que c’est imprudent et de lui dire de se couvrir la tête au moins pendant sa promenade. Il serait fâcheux que cette pauvre petite femme, sous prétexte de science, se donnât des rhumatismes à perpétuité. Ceci dit dans son intérêt, je reviens à toi, mon adoré, et je te baise de toutes mes forces pour t’ôter ton bobo et pour te rendre GEAI comme un pinson. Je t’aime.
BnF, Mss, NAF 16382, f. 13
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette