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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 mars 1839

11 mars [1839], lundi midi

Bonjour Toto, comment va votre petite gorge et votre chère poitrine ? Il paraît au reste que rien ne peut plus vous décider à venir déjeuner avec moi ? Je ne vous en fais pas mon compliment car vous ne pouvez pas objecter le besoin pressant d’argent puisque j’en ai à remuer à la pelle. Donc ce n’est que votre indifférence qui vous cloue chez vous. Je suis très mécontente et je ris jaune car tout ça m’a bien l’air d’être vrai. J’ai beau me plaindre tous les jours, vous ne m’en tenez aucun compte. Si vous croyez que ça m’amuse, vous vous trompez furieusement. Je suis presque en colère contre vous car voici le moment d’abstinence FORCÉE qui vient et tout le temps oùa je pouvais faire gras comme un moine, vous m’avez fait faire maigre comme plusieurs clous et vous êtes cause que je rabâche toujours la même chose et que je suis bête comme une oie. Oh vous êtes très coupable et surtout très froid et je devrais ne plus vous aimer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16337, f. 251-252
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « que ».


11 mars [1839], lundi soir, 5 h. ¾

Il paraît, mon Toto, que j’ai réussi à être fort maussade tandis que je n’étais qu’un peu souffrante et très amoureuse ? Au reste, c’est toujours comme ça : on n’esta jamais ce qu’on paraîtb. Les beaux sourires, les belles figures, les belles manières, les beaux yeux et les douces paroles sont souvent les plus menteurs. Je suis là-dessus de l’avis d’une certaine Marie Tudor [1]. D’ailleurs j’ai pour corroborer mon opinion mon propre exemple. Je suis laide, triste, maussade, souffrante à l’extérieur. Dans mon âme, je suis en admiration et en extase devant vous et je vous dis les paroles les plus tendres et les plus douces et les plus persuasives. Voilà ce que c’est que d’être et de paraître, c’est bien différent. Et pour ma part, je vous aimerais mieux moins beau et très grognon si vous pouviez m’aimer à la place d’être un charmant et délicieux indifférent. Malheureusement je n’ai pas le choix et je vous adore comme vous êtes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16337, f. 253-254
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « on est ».
b) « parrait ».

Notes

[1Réponse de la Reine à son amant stratège Fabiani qui vient de lui déclarer « Je t’aime » : « Tu m’aimes, n’ est-ce pas ? Tu n’aimes que moi ? Redis-le-moi encore comme cela, avec ces yeux-là. Hélas ! Nous autres pauvres femmes, nous ne savons jamais au juste ce qui se passe dans le cœur d’un homme ; nous sommes obligées d’en croire vos yeux, et les plus beaux, Fabiano, sont quelquefois les plus menteurs. Mais dans les tiens, mylord, il y a tant de loyauté, tant de candeur, tant de bonne foi, qu’ils ne peuvent mentir ceux-là, n’ est-ce pas ? Oui, ton regard est naïf et sincère, mon beau page. Oh ! Prendre des yeux célestes pour tromper, ce serait infernal. Ou tes yeux sont les yeux d’un ange, ou ils sont ceux d’un démon. » (Marie Tudor, Journée 2, Scène 1.)

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