7 février 1863

Guernesey, 7 fév[rier] [18]63, samedi matin, 9 h.

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, comment a été ta nuit et comment te trouves-tu ce matin ? Questions que je voudrais pouvoir résoudre selon mon cœur et sur lesquelles je ne peux rien et ne sais rien encore, hélas ! Le temps n’est pas très propre à me rassurer car il pleut toujours malgré une sorte de lueur blafarde qui voudrait se faire passer pour le soleil. Quant à moi, je me porte trop bien et j’en ai presque des remords en te voyant souffrant, car il me semble que je manque à notre association et que je te lèse d’autant de santé que j’ai moins de mal. Dépêche-toi donc de te guérir, mon cher bien-aimé, pour détruire tous mes scrupules et pour que je puisse être forte et gaillarde à discrétion et de toutes mes facultés à la fois. En attendant je prépare mon pauvre petit festival pour ce soir dans l’espérance que toutes vos gripperies voudront bien lui donner un coup de dent et un sourire au passage. Mais d’ici-là, je voudrais bien savoir comment tu as passé la nuit et comment va ton rhume ce matin. Cette pensée ne me quitte pas et je ne saurais parler d’autre chose. Pardonne-moi si j’ajoute le rabâchage de ma sollicitude à l’ennui de ta souffrance, ça n’est pas de ma faute car je voudrais pouvoir être autrement ne fût-ce^a que pour te distraire et te paraître aimable et charmante dans les moments ennuyeux^b et maussades^c comme celui-ci. Ce n’est pas du reste la bonne volonté qui me manque et l’amour encore moins, ce qui me manque c’est un autre moi spirituel et amusant quand même, mon trop simple moi à MOI ne sait que t’adorer.

BnF, Mss, NAF, 16384, f. 34
Transcription de Chantal Brière

a) « ne fusse ».
b) « ennuieux ».
c) « maussade ».