Guernesey, 26 avril [18]63, dimanche matin, 7 h. ½
Bonjour, mon ineffable bien-aimé, bonjour ; que toutes les bénédictions de la terre et du ciel soient sur toi et sur tous ceux que tu aimes. J’ai passé une très bonne nuit et j’espère que tu as suivi mon bon exemple. Je n’ai plus mal à la tête et je me porte comme un grand chêne. Je n’ai pas du tout besoin d’une grande maison d’où je ne te verrai pas tous les matins [1] et je veux conserver mon cher petit bâton sur lequel mon cœur perche si joyeusement en te regardant aller et venir dans ta PIGNOLLE (comme dit l’érudite Suzanne). Cela dit, mon adoré bien-aimé, il faudra que tu me dictes la lettre que je dois écrire pour prévenir le Domaille [2] de n’avoir pas à se déranger demain. Nous conviendrons tantôt quand tu viendras de l’heure à laquelle il faudra que je sois prête pour ne pas perdre une goutte de notre chère petite promenade sur la colline. Je suis si heureuse de la pensée de rester près de toi qu’il me semble que j’ai déjà remplacé mes vieilles jambes par de jeunes ailes. Mon jardin lui-même me fait fête et me crie par la bouche de toutes ses charmantes petites fleurs : NE T’EN VA PAS. La santé est où est le bonheur et le bonheur c’est de s’aimer côte à côte, les yeux dans les yeux, l’âme dans l’âme : JE RESTE ICI, c’est convenu !
BnF, Mss, NAF, 16384, f. 107
Transcription de Chantal Brière
[Guimbaud, Massin]