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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 décembre [1844], jeudi matin, 10 h. ¾

Bonjour mon petit bien-aimé, bonjour mon cher adoré Victor bonjour comment vas-tu ? Je t’aime. Je te ferai crédit mon Toto chéri. Je tâcherai de ne pas te tourmenter. Hélas ! Voilà déjà bien des fois que je te fais la même promesse sans la tenir. Je m’y applique pourtant bien et je n’y parviens pas. Cette fois-ci je redoublerai d’efforts et j’espère en venir à bout. Tu es si bon, si doux, si tendre et si charmant que c’est conscience vraiment de te tourmenter. Je m’en veux horriblement après comme si cela avançait à grand-chose. Mais cette fois ma résolution est bien prise, mon cher amour ; quel quea soit l’état de ma tête et de mon cœur je ne veux pas que tu en souffres. Je ne veux pas te donner ta part de tristesse. Je veux prendre ma part entière de ton sourire, de tes baisers et de ton amour mais je ne veux sous aucun prétexte te faire de vilains cadeaux. Reste donc sans inquiétude auprès de ton beau-père [1]. Pense à moi pour m’aimer seulement. Je te promets d’avoir de la raison et du courage.
As-tu retrouvéb ta bourse, mon bien-aimé ? Ce serait fort ennuyeuxc si tu l’avais perdue tout à fait. Bien plus pour tes petites clefs qu’il faudrait faire refaire que pour l’argent. Tu es dans une veine de perte fort ennuyeused. Pour ma part je regrette bien vivement ta canne à pomme d’argent. Elle avait fait presque tous nos voyages, c’était un monument pour nous. Je suis bien bien fâchée que tu l’aies perdue. Cependant, puisqu’il faut toujours payer son impôt au mauvais sort, j’aime encore mieux que ce soit la canne et la bourse qui aient payé que la plus petite partie de toi. Rien ne vaut une parcelle de l’ongle de ton petit doigt, voilà mon opinion.
Cher bien-aimé adoré, j’aurai du courage. De ton côté, tâche de venir le plus que tu pourras pour que ma résolution soit moins difficile à tenir. En attendant je t’aime, je t’aime, je t’aime. Je baise toute ton adorable petite personne de la tête aux pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 167-168
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « quelque ».
b) « retrouver ».
c) « ennuieux ».
d) « ennuieuse ».


19 décembre [1844], jeudi soir, 6 h.

Je sais que je ne te verrai pas, mon Toto adoré, au moins avant cette nuit. Cependant je suis courageuse. C’est que je repasse dans mon cœur toutes les assurances d’amour et de fidélité que tu m’as dites. C’est que je me souviens de ton doux sourire, de ton beau regard si sincère et si loyal, de tes baisers si tendres et si charmants aussi. Je suis pleine de confiance et partant pleine de courage et de résignation. Je t’aime, je t’espère et je t’attends. J’ai reçu une petite bourriche de Brest contenant deux bécasses et deux petites sarcelles plus un prétendu éventail chinois pour Claire que je crois de fabrique galérienne. Cet envoi était escorté de griffouillis de tous les bas-bretons grands et petits. Ces pauvres gens se sont bien hâtés de m’envoyer mes Étrennes. Ils ont suivi ton exemple sans le savoir. Tu penses bien que je ne veux pas manger ces quatre oiseaux à moi toute seule. Et même je serai très heureuse de te les donner tous. Cela te fera un petit plat de rot pour dimanche. Si tu viens ce soir tu les emporterasa. Du reste, le port de la bourriche combiné avec 18 F. 14 s. d’huile à manger font que je n’ai plus d’argent du tout, pas même celui du parapluie [2]. J’en excepte la pièce trouée [3]. Je ne sais pas quel est le gnome, le sylphe ou le diablotin qui me soutire ma monnaie mais à peine est-elle entre mes mains qu’il n’y en a plus. J’oubliais de te dire dans cette dépense une provision de vinaigre de Bussy dont je n’avais plus une goutte chez moi depuis huit jours. Demain il faudra du liquide. Ia, ia Monsire, Matame il est son sarme [4] à Manzelle Chi Chi. Douchour Tébenser l’ARCHENT.
Baisez-moi et faites vos affaires vous-même, j’y gagnerai encore davantage. Cher petit bien-aimé je t’aime, je t’adore. JE RIS.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 169-170
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « emportera ».

Notes

[1Depuis plusieurs jours, Victor Hugo reste au chevet de son beau-père malade.

[2Somme d’argent régulièrement épargnée et tout aussi régulièrement dépensée qui doit servir à l’achat d’un parapluie pour les étrennes du premier janvier 1844 de sa fille Claire.

[3Juliette conserve précieusement cette pièce qu’elle a baptisée le talisman bien qu’elle doute fort de ses vertus.

[4Imitation de l’accent allemand pour « oui oui monsieur madame, il est son charme ».

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