Guernesey, 29 janv[ier] [18]63, jeudi soir, 5 h. ¼
Victoire, mon bien-aimé, victoire sur toute la ligne et sur tous les bibelots à rémérer [1]. À partir d’aujourd’hui je me considère comme guérie et je me regarde comme dûment propriétaire de vos nombreux CHRISTOFLESa [2]. Aussi vous voyez que j’en éprouve une joie si immodérée que je patauge dans une restitus monstre. Cela vous apprendra à me combler de vos nombreux bienfaits. Mais, entendons-nous, donnant, donnant, si je vous donne de la santé il faut que vous m’en rendiez avec les intérêts compensés sinon je reprends mon rhume et je m’y vautre à plaisir. Fichtre, ne plaisantons pas et soyons de bonne foi tous les deux. Je consens à flanquer mon mal de tête à tous les diables à la condition que vous ficherez votre mal de gorge par-dessus les moulins. Mais je vous entends et j’interromps mon gribouillage pour vous laisser la parole, ce qui vaut mieux.
6 h. ½
Je ne veux pas laisser ma restitus un pied en l’air ce qui ne serait pas décenta. Je l’achève donc pudiquement avant de dîner dans l’intérêt de la morale et de mon estomac. Je suis bien contente que ton gros Charlot t’ait écrit [3] et qu’il se soit souvenu de moi, mon cher petit homme. Quand tu lui écriras tu voudras bien le remercier très tendrement pour moi. Quant à toi, mon adoré, je passerais mes jours et mes nuits à te dire sans fatigue et sans satiété que tu es la joie de ma joie, la vie de ma vie et mon bonheur en ce monde et mon espoir pour l’éternité.
BnF, Mss, NAF 16378, f. 24-25
Transcription de Chantal Brière
a) « Christophe ».
b) « descent ».