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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 9 novembre [18]64, mercredi soir, 5 h. ¾

Je t’aime, voilà le fond et le tréfondsa de mon cœur. Après cela je n’ai plus rien à te dire si ce n’est de recommencer tant que tu m’en laisseras le temps. Depuis ce matin je pioche comme une malcenaire [1], ce qui t’explique pourquoi je te n’ai pas écrit au saut du lit comme d’habitude sans compter que je guettaisb avec anxiété le moment où tu arborerais ton doux signal. À force d’impatience et d’œil tendu vers le balcon muet je t’ai vu enfin à neuf heures accrocherc ta serviette et t’enfuir tout de suite dans ton lucoot. Cela ne m’a rassurée qu’à demi car je sais combien tu as besoin de tes nuits et qu’il n’y a pas de flânerie dans le lit hors des heures consacrées qui puisse remplacer une mauvaise nuit. Que la peste soit des servantes qui ne se tiennent pas tranquilles. Quant à ta Marie elle n’a fait que déposer entre les mains de Suzanne le raisin et la bouteille à café sans même dépasser le seuil de la porte. Je crois qu’elle doit être dans ses petits sabots depuis hier et il y a de quoi car jamais plus stupide algarade n’a pu se produire dans les traditions cuisinières. Espérons que ce sera la dernière. M. Martin [2] accompagné d’un jersiais qui désirait te voir avant de repartir chez lui, sont venus sonner à ma porte dans l’espoir de t’y rencontrer, n’ayant trouvé personne chez toi. Je leur ai fait dire que j’étais sortie pour leur faire comprendre que ta maison n’est pas la mienne et réciproquement et puis encore parce que j’étais [illis.]. Te voilà, quel bonheur. Je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16385, f. 230
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « le tréfond ».
b) « je guetais ».
c) « je t’ai vu accroché ».

Notes

[1Expression empruntée à la quatrième lettre du Rhin ou Victor Hugo rapporte des dialogues entendus lors de changements de chevaux entre Mézières et Givet : « Il travaille toujours. Il travaille pire qu’un malsenaire », prononciation déformée de mercenaire, Le Rhin, volume « Voyages », Œuvres complètes, édition dirigée par Jacques Seebacher et Guy Rosa, Paris, Robert Laffont, 1985, 2002, p. 40.

[2Nathanaël Martin-Dupont est un jeune pasteur de Jersey, futur bachelier en théologie, rencontré à Jersey en 1860. Il sera reçu par Victor Hugo à plusieurs reprises à Hauteville House. (Hovasse, p. 605-705-800).

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