Paris, 10 juin [18]79, mardi matin, 9 h. ½
Je t’ai vu, mon doux adoré, tu m’as souri, je suis heureuse. Ta nuit incomplète demande que tu prennes encore quelques heures de repos, c’est pourquoi j’ai abrégé ma visite tout à l’heure. Jusqu’à présent tu n’as reçu aucune convocation sénatoriale ou académique et je pense qu’il n’en viendra pas aujourd’hui. En revanche tu as reçu un spécimen manuscrit de la publication de tes vers extraits de toute ton œuvre poétique à laquelle tu as consentie en faveur de cette jeune Genevoise à l’imitation des books almanachs anglais. Mais ton consentement ne lui suffit pas ; elle te prie, en outre, de lui trouver un éditeur à Paris et de lui demander quelles seront ses conditions. Tout cela le plus naturellement du monde et comme à un homme qui n’a que ce genre de service à rendre à l’humanité. On n’est pas plus naïvement genevoise !
Cher bien-aimé, je t’ai prié depuis bien longtemps déjà de me conduire à Saint-Mandé [1] ; je te renouvelle à nouveau cette prière et je te supplie de ne pas différer à m’accorder cette triste et douce satisfaction. Cela est d’autant plus nécessaire que j’ai l’annuité de l’entretien de cette chère tombe à payer. Si tu voulais au lieu de notre promenade habituelle de deux heures nous pourrions y aller aujourd’hui. Fais cela pour moi, mon cher bien-aimé, ce sera une reconnaissance de plus que je te devrai et que je ressens d’avance en même temps que je t’adore.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16400, f. 148
Transcription de Chantal Brière