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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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BnF, Mss, NAF 16322, f. 208-210 / 20 septembre

Des Metz, 20 sept[embre 1834]a [1]

Il n’est pas tout à fait 6 h. du soir, je viens de finir de copier les vers que tu m’as donnésb hier [2]. Je ne suis pas très familiarisée avec les compliments en usage dans le beau monde. Tout ce que je puis te dire, c’est que j’ai pleuréc et admiréd en t’entendant les liree, c’est que j’ai pleuréc et admiréd en les relisant, c’est que je pleure et que j’admire en me les rappelant. Je te remercie du fond de l’âme d’avoir pensé à moi en les faisant. Mercif, mon bien-aimé, cette pensée pleine de charité qui t’a inspiré. Cesg beaux vers ont eu l’effet que tu en attendais car c’est tout à la fois pour ma pauvre âme malade un cordial et un calmant. Mercif, mercif. Oh ! mercif ! Tu n’es pas seulement sublime ! Tu es bon ! Et ce qui vaut encore mieux – tu es indulgent, toi, qui as tant le droit d’être rigoriste. Je t’aime, mon cœur se fond en admiration et en adoration ! J’ai du délire et de l’amour ! plus que mon pauvre cœur n’en peut contenir. Viens donc prendre le trop-plein de mon extase. Si tu savais combien je t’attends, combien je te désire. Si tu savais le reste encore. Oh ! tu viendrais, j’en suis bien sûre. Viens, viens, je t’en prie, viens. Tu auras plus de baisers que de pas, plus de bonheur que de peineh, plus de sourires et plus de joies que de brouillard – et de froid –

Juliette

Je t’écris ceci un peu après, parce qu’avant de te parler d’affaire, j’avais besoin de me calmer. Je suis rentrée hier, j’ai lu tes vers, j’ai dîné, j’ai fait mes comptes. Ensuite, je me suis couchée, j’ai lu tes journaux, je me suis endormie, j’ai rêvéi de toi. Je me suis réveillée ce matin à 8 h. Je me suis levée presque aussitôtj. J’ai fait une partie du ménage, réparék la toilette d’hier. Ensuite, au milieu du déjeuner, Lanvin est venu apportant les journaux et une lettre de M. Pradier et des effets de chez Mlle Watteville [3], et pour savoir si on avait besoin de lui pour le départ ; après avoir déjeuné et s’être suffisamment reposé, il est reparti à 1 h. de l’après-midi, remportant avec lui les effets de Claire et une partie de ceux de sa femme. Après qu’il a été partil, je me suis débarbouillée et peignée, ainsi j’ai fait à Claire, et puis à 2 h. ½, je me suis mise à copier, et depuis que j’ai fini, je t’écris ; voici, mon commandant, le rapport de la place. Êtes-vous satisfait ? Le caporal de garde l’est aussi.
Après dîné, je ferai répéter les enfants et compterai les vers des Feuilles d’automne [4].

Après le dîner.

Je viens de faire répéter les leçons. Je ne suis que forcée de remettre en pénitence votre protégée Claire, qui est bien la plus paresseuse et la plus musarde des écolières. Je viens de lire à Mme Lanvin les fameux vers, elle en est encore tout émuem. La pauvre femme vous comprend donc [c’est] qu’elle vous aime, cela va sans dire. Bonsoir, à demain j’espère.
Je pense que tu n’es pas venu aujourd’hui parce que tu auras eu des démarches à faire pour m’emmener demain. C’est pour cela que je prends patience.

BnF, Mss, NAF 16322, f. 208-210
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

a) Date rajoutée sur le manuscrit d’une main différente de celle de Juliette. 
b) « donné ».
c) « pleurée ».
d) « admirée ».
e) « lires ».
f) « mercie ».
g) « c’est ».
h) « peines ».
i) « rêvée ».
j) « presqu’aussitôt ».
k) « réparée ».
l) « partie ».
m) « toute émue ».

Notes

[1Juliette arrive aux Metz (près de Jouy et des Roches dans la vallée de la Bièvre) le 31 août 1834. Hugo l’installe dans une maison à quelque distance de la propriété des Bertin chez qui il est en villégiature. Elle repartira pour Paris début novembre, accompagnée de sa fille Claire, environ deux mois après son arrivée.

[2Selon Paul Souchon, le 19 septembre 1834, Victor Hugo dépose dans le tronc creux du châtaignier où le couple a l’habitude de se laisser des lettres, des vers adressés à Juliette, qui constitueront la pièce XXIV des Chants du Crépuscule : « Oh ! pour remplir de moi ta rêveuse pensée, / Tandis que tu m’attends, par la marche lassée, / Sous l’arbre au bord du lac, loin des yeux importuns, / Tandis que sous tes pieds l’odorante vallée, / Toute pleine de brume au soleil envolée, / Fume comme un beau vase où brûlent les parfums ; / Que tout ce que tu vois, les coteaux et les plaines, / Les doux buissons de fleurs aux charmantes haleines / La vitre au vif éclair, / Le pré vert, le sentier qui se noue aux villages, / Et le ravin profond débordant de feuillages / Comme d’ondes la mer, / Que le bois, le jardin, la maison, la nuée, / Dont le midi ronge au loin l’ombre diminuée, / Que tous les points confus qu’on voit là-bas trembler, / Que la branche aux fruits mûrs ; que la feuille séchée, / Que l’automne, déjà par septembre ébauchée,/ Que tout ce qu’on entend ramper, marcher, voler, / Que ce réseau d’objets qui t’entoure et te presse, / Et dont l’arbre amoureux qui sur ton front se dresse / Est le premier chaînon ; / Herbe et feuille, onde et terre, ombre, lumière et flamme, / Que tout prenne une voix, que tout devienne une âme, / Et te dise mon nom ! / Enghien, 19 septembre 1834. » L’indication « Enghien » est volontairement fausse : en réalité Juliette est depuis le 2 septembre en vacances dans la vallée de la Bièvre, près des Roches où Victor fait un séjour en famille chez les Bertin. Le manuscrit porte la date du 19 7bre 1834. – 9 h. ½ du matin – sous le châtaignier (CFL, t. V, p. 448).

[3Mlle Watteville accueille Claire Pradier, la fille de Juliette Drouet et de James Pradier, en pension à Saumur.

[4Les Feuilles d’Automne, recueil de quarante pièces de Victor Hugo, parut en novembre 1831, chez Renduel.

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