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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 14 octobre 1858, jeudi matin, 8 h.

Bonjour, mon bien-aimé adoré ; bonjour en toute hâte et avant la poussière des ramoneurs que j’attends ce matin. J’ai dû déménager depuis deux heures tout ce qui est délicat et fragile et surtout volable dans mon logis. Je viens seulement de finir ce petit tracas, regrettant de n’avoir pas pris le parti du commencement de l’été quand les jours étaient très longs, puisque d’ailleursa il est impossible d’éviter cette corvée en l’ajournant. Cette remarque tardive n’en estb pas plus consolante et ne me dispense d’aucun de mes embêtements. Cher bien-aimé, j’espère que tu as passé une bonne nuit et que ta jambe va de mieux en mieux. En attendant, je te supplie de ne pas croire que je fais ma plume en cœur par manière et par afféterie et pour que tu poursuives mes insipides gribouillis dans les [illis.]. Non, mon adoré, ce que je t’en dis, ce que je sens au plus profond de ma stupidité, c’est que je suis bête comme une oie et que je t’aime comme un ange. Voilà pourquoi j’insiste pour te cacher mon côté ridicule pour mieux te laisser voir mon âme sans aucun obstacle qui la gêne et qui l’humilie.

Juliette

Bnf, Mss, NAF16379, f. 291
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « d’ailleurs » est en ajout sur une ligne supérieure.
b) « n’en n’est ».


Guernesey, 14 octobre 1858, vendredi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon bon petit homme, bonjour, mon grand bien-aimé, bonjour et bonheur. Je commence ce matin une nouvelle ère de restitus ; mais je suis sûre d’avance que ce sera toujours la même chanson puisque mon cœur, mon âme, ma pensée redisent toujours le même refrain : je t’aime. Quant aux choses extérieures, elles varient si peu autour de moi, que c’est à peine si je m’en aperçois. Aussi, tous mes gribouillis ont-ils la monotonie ennuyeusea et niaise d’une chose coulée en forme. Ce n’est pas que je sois insensible à toutes les belles choses grandes et merveilleuses qui m’entourent, mais mon admiration n’a ni formule ou parole pour s’exprimer. Ce matin par exemple, tout est beau, tout est bon, tout est sublime, tout est attendrissement dans le ciel et sur la terre ; le grand horizon, les collines vertes, le ciel lumineux, la mer bleue et calme. Je vois, je comprends, je sens, j’admire, j’adore tout cela, mais tout se traduit par ce seul mot : JE T’AIME ! C’est assez pour ma propre satisfaction mais qu’est-ce que tout esprit peut faire de cet amour brut ? Qu’est-ce qu’un diamant sur papier ? Rien, qu’un beau caillou pour que l’amour puisse être porté, il lui faut une monture ciselée par l’esprit sinon il n’est bon à rien. Orb, LE MIEN D’ESPRITest un bien maladroit joaillierc qui n’est pas plus capable de sertir un sentiment qu’une perle. Ce n’est pas de ma faute mais cela n’en estd pas plus heureux pour toi que j’adore.

Bnf, Mss, NAF16379, f. 292
Transcription d’Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette

a) « ennuieuse ».
b) « hors ».
c) « jouailler ».
d) « n’en n’est ».

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