Guernesey, 2 septembre 1858, jeudi matin, 7 h. ½
Bonjour, mon cher petit convive, bonjour mon bon petit ogre insatiable, bonjour, mon vorace adoré, bonjour, je vous souris, je vous aime, je vous bénis, je vous adore, bonjour. Comment as-tu passé la nuit, mon bien-aimé ? L’attentat du soir ne t’a pas empêché de dormir j’espère, malgré les grands mots, les grands bras, les gros yeux, le gros ventre de Quesnard ? Il n’a pas tenu à lui que nous ayons flanqué ce pauvre Marquand par la fenêtre même avant de l’avoir entendu. Du reste, je comprends son antipathie pour ce brave homme, son antipode moralement et physiquement. L’un est la simplicité, le bon sens, l’honnêteté même, l’autre, l’emphase, la jactance, l’importance en personne. Aussi s’entendent-ils très peu, ce qui n’est pas très malheureux après tout, car ils ne dépendent ni de l’un ni de l’autre. Tout cela, mon cher petit Toto, n’est qu’une manière détournée d’arriver à ton cœur que je ne perds jamais de vue quoique j’aie l’air bien souvent de regarder ce qui se passe ailleurs. Je t’aime entends-tu bien ? Je t’aime, je t’aime, et je ne sors pas de là. Je t’aime
Bnf, Mss, NAF 16379, f. 250
Transcription d’Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette