Paris, 15 avril [18]79, mardi
Si j’en croyais le sage conseil de M. et de Mme Lockroy et si je n’écoutais que mon inexorable bobo, je resterais chez moi solitairement ce soir au lieu d’aller à la soirée de noces de la charmante Catherine [1]. Mais j’ai « au cœur une hydre aux dents de flamme » [2] mille fois plus féroce encore que celle qui me [ brise ? broie ?] le genoua depuis plus de huit jours, c’est pourquoi j’essayerai de me traîner comme je le pourrai à cette fête joyeuse que tu présideras. C’est bien le moins que j’aie le courage de ma lâcheté, jusqu’au jour très prochain, je le sens, où tu me donneras toi-même un nouveau congé qui m’obligera à prendre ma retraite définitive. En attendant tâchons de nous dissimuler l’un à l’autre le plus que nous pourrons nos espérances et nos désespoirs.
Je suis allée ce matin, comme de coutume, m’assurer que tu te récupérais de ton insomnie habituelle par un fort sommeil du matin……………b Cher bien-aimé, il m’a suffic de te voir pour changer mes soupçons en confiance et mes inquiétudes en sécurité. Aussi mon élucubration commencée en tristesse s’achève presque end joie car il me semble impossible que ton regard si profondément loyal, que ta voix si douce et si harmonieuse, que tes paroles si tendres ne soient pas sincères comme mon amour, comme mon admiration, comme ma vénération et mon adoration pour toi.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF, 16400, f. 101
Transcription de Chantal Brière
a) « genoux ».
b) Quinze points courent jusqu’au bout de la ligne.
c) « suffit ».
d) « presqu’en ».