11 juin [1837], dimanche soir, 10 h. ½
Mon Victor, je sens que je t’aime plus que je ne l’ai jamais fait. Il y a des jours dans l’année où le soleil s’approche plus près de la terre, de même il y a des jours où mon amour monte de mon cœur jusqu’au ciel. Celui-ci en est un. Je sens que je t’aime comme si déjà je ne tenais plus à la terre par aucun côté. Je t’aime mon Victor, je t’aime, c’est là tout. Ma vie, mon cœur, mon sang, mon âme, tout est là. Je t’aime. Cette petite boîte que je n’avais pas ouvertea depuis quelque temps m’a exalté l’âme [1]. Je sentais en contemplant tant de trésors que j’étais riche et heureuse car je me voyais aimée de toi. Je dis tout cela avec l’ivresse de l’amour, avec le délire de l’âme. Je te dis cela sans savoir si je ne mets pas la charrue devant les bœufs et si tout ce que je dis n’est pas marqué au coin de la folie la plus frénétique. Il ne faut pas m’en vouloir. Le bouton contient la rose et son parfum, le cœur contient l’amour. Ce n’est pas la faute du bouton si le soleil le force à s’épanouir. Ce n’est pas ma faute si ton doux regard fait s’épanouir ma passion comme un bouquet. Je t’aime. J’aurais dû ne t’écrire que cela depuis le commencement jusqu’à la fin. Je t’aime, je t’aime de toute mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16330, f. 287-288
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « ouvert ».