Guernesey, 20 juin 1858, dimanche matin, 4 h.
Bonjour, mon doux bien-aimé, bonjour, mon adoré, bonjour. J’espère que tu as passé une meilleure nuit que la précédente, mon pauvre petit homme, et que ta gorge va mieux ce matin ? Tu serais bien bon de venir m’en donner des nouvelles avant ton déjeuner, car j’ai plus besoin aujourd’hui que les autres jours encore si c’est possible d’être assurée de ta santé ! Maintenant que tu as satisfait la curiosité si légitime de ton entourage, il faut te reposer et ménager ta voix. Quant à moi, je m’engage à ne te parler que des yeux et de l’âme afin que tes réponses ne fatiguent pas ta gorge. J’espère finir ce que tu m’as donné à copier [1] aujourd’hui. Je te prie d’avance de ne pas me laisser chômer et de me laisser tout de suite d’autres copires. En attendant, je tâche de porter courageusement le jour et la date d’aujourd’hui [2], pour cela je m’applique à t’aimer d’un amour plus pur et plus ardent encore que celui que je te donne tous les autres jours afin que la sainteté de mes regrets s’harmonise avec la sainteté de mon amour. Mon âme va du ciel à la terre et de mon ange à toi avec une égale tendresse, triste et douce, pieuse et résignée, je prie et je t’aime, je pleure ma fille morte et je te bénis dans ta glorieuse vie, dans ta famille et dans ton œuvre sublime, mon Victor adoré, devant nos doux anges qui nous regardent. Je te bénis.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16379, f. 131
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette