Guernesey, 30 mai 1858, dimanche soir, 5 h. ¾
Ma pauvre petite poule [1] est morte dès que tu as été parti, mon cher bien-aimé, et j’en suis toute attristée, non pour la perte sèche que cela me cause, mais parce que c’est toujours une chose douloureuse que la mort d’un être doux et inoffensif à quelque échelon de la création qu’il se trouve. L’autopsie de cette pauvre petite bête nous fait croire qu’elle était hydropique [2], une drôle de maladie pour une poule et dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’ici. Du reste, la pauvre petite créature, si jolie de plumage, n’a jamais été gaie comme les autres et n’a pas pondu dix fois en dix mois. C’est probablement un vice de conformation qui a causé sa mort. Cet accident n’a pas diminué mon mal de tête, au contraire je crois qu’il l’a encore augmenté si c’est possible. Si mon dîner ne m’apporte pas un peu de soulagement, je ne sais pas comment je ferai pour aller sur la montagne ce soir et cependant Dieu sait si j’ai du bonheur à être avec toi n’importe où et à quelque moment que ce soit. Il faudra que je sois tout à fait abrutie par la migraine ce soir pour renoncer à notre bonne petite promenade projetée. En attendant, je t’aime de tout mon cœur.
J.
BnF, Mss, NAF 16379, f. 117
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette