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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Lundi 6 janvier [1845], midi ¾

C’est encore de mon lit, mon adoré, que je t’écris. Je continue à ne pas être à mon aise. J’ai passé une nuit blanche et comme rien ne me force à me lever, je reste au lit parce que je crois que la chaleur est favorable à ce genre d’indisposition.
Comment vas-tu, toi, mon bien-aimé ? Vois-tu diminuer la montagnea de choses que tu as à faire d’ici à dix jours [1] ? Pauvre adoré, je suis effrayée de tout ce que tu as à faire d’ici à un mois. Encore, si je pouvais t’aider, mais, bien loin de là, je suis un encombrement et un embarras de plus. Ça n’est pas juste. L’amour devrait savoir et pouvoir tout faire. À quoi lui sert d’être un dieu s’il ne peut pas au besoin être un génie  ? C’est fort ridicule et fort humiliant. Baisez-moi, mon Toto, baise-moi, mon ravissant petit bien-aimé, et aime-moi.
Clairette est partie ce matin à huit heures. Maintenant, elle s’en va avec beaucoup de courage. Elle a pris son état sinon en passion, au moins avec goût et avec résignation. J’espère qu’elle passera son premier examen [2] sans achoppement et que l’année prochaine, nous pourrons demander quelques petits appointements. En attendant, la chose est très bien emmanchée ainsi. Ce qui ne l’est pas aussi bien, c’est l’histoire de mon déménagement [3]. La permission est obtenue mais on ne pourra commencer le mur qu’après le 15 parce que la locataire qui tient l’atelier aurait tous ses plâtras à l’air. Pourvu que cela ne traîne pas au-delà, je m’estimerai fort heureuse. Voilà une maison et un jardin [4] qui ont l’air de fuir devant moi au lien d’avancer. Du reste, ma maison ressemble à celle du Docteur Bartholo [5], c’est à qui sera la plus éclopéeb. Suzanne a été se faire arracher une dent ce matin. Elle a la figure toute enflée et peut à peine parler. Moi, je suis prise de douleurs intérieures dans l’estomac et dans le dos. Cocotte crie et Fouyou miaule. Quelle charmante maison ! Voime, voime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 19-20
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « montage ».
b) « écloppée ».


6 janvier [1845], lundi soir, 4 h. ¼

Je viens de raccommodera tes gants, mon petit Toto bien aimé. Je vais me lever. Il me semble que je suis bien maintenant, en voilà déjà bien assez comme cela. D’ailleurs, il faut que je me secoue puisque je suis forcée de laisser voir mon logis à tous les passants à partir de demain [6]. Et puis je veux envoyer cette pauvre Suzanne se coucher de bonne heure, car elle est bien blaireuse aussi de son côté.
Tu étais bien pressé tantôt, mon petit homme, tu avais l’air de courir après la diligence. Je te vois à peine et toujours haletant comme quelqu’un qu’on poursuit ou qui pourchasse quelqu’un. Je te pardonne jusqu’à la réception de Sainte-Beuve [7] et à l’apparition de ton livre [8]. Mais après cela, je te préviens que je serai très féroce. D’ici là, je veux être plus douce qu’un mouton, si je peux, et ne pas te tourmenter du tout. Pauvre bien-aimé, c’est bien malgré moi quand je te tourmente. Il faut que je sois bien malheureuse et bien hors de moi-même pour le faire. Dans tous les cas, je te supplie de n’y pas faire autrement attention que pour me plaindre et pour m’aimer. Tu entends, mon petit Toto chéri, je ne veux pas que tu t’inquiètes et que tu te préoccupesb de mes tristesses et de mes découragements, si ce n’est pour m’aimer. Je baise tes adorables petites mains.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 21-22
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « racommoder ».
b) « préocupes ».

Notes

[1Le 16 janvier 1845, Victor Hugo prononce un discours à l’Académie française en réponse au discours de réception de Saint-Marc Girardin.

[2Claire prépare son examen pour devenir sous-maîtresse d’école.

[3Le 10 février 1845, Juliette Drouet déménage du 14 au 12, rue Sainte-Anastase. Victor Hugo loue ce rez-de-chaussée avec jardin depuis le 14 août 1844, depuis lors en travaux pour rénover les trois pièces et la cuisine.

[4Le 12, rue Sainte-Anastase est une maison avec jardin.

[5Bartholo, médecin, est un personnage du Barbier de Séville (1775) et du Mariage de Figaro (1778) de Beaumarchais. Il est le tuteur de Rosine. Au premier acte, scène III, celle-ci désigne la maison de Bartholo comme étant une prison : « Mon excuse est dans mon malheur : seule, enfermée, en butte à la persécution d’un homme odieux, est-ce un crime de tenter à sortir d’esclavage ? ». De plus, elle se dit être en mauvaise santé, tout comme Marceline, domestique de la maison, qui est alors malade (Acte II, scène première).

[6Juliette Drouet déménage le 10 février 1845 du 14 au 12, rue Sainte-Anastase. Victor Hugo loue ce rez-de-chaussée avec jardin depuis le 14 août 1844, depuis lors en travaux pour rénover les trois pièces et la cuisine.

[7Le 27 février 1845, Victor Hugo prononce un discours à l’Académie française en réponse au discours de réception de Sainte-Beuve, élu le 14 mars 1844 pour occuper le fauteuil de Casimir Delavigne.

[8Juliette évoque-t-elle la nouvelle édition du Rhin qui paraît le 3 mai 1845 ?

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