Guernesey, 8 avril 1858, jeudi soir, 7 h. ¼
C’est bien le cas ce soir, plus encore que d’habitude, de ne t’écrire qu’un mot : JE T’AIME et de tirer l’échelle à ma restitus après ce mot suprême fait tout entier avec tout mon cœur et toute mon âme, mais je crains que tu ne te méprennes sur mon laconisme, mon adoré, et que tu ne l’attribues à autre chose qu’à l’excès même de mon amour qui m’empêche de rien voir, de rien entendre, de rien sentir, de rien comprendre, et de rien exprimer en dehors de lui. Voila pourquoi, mon doux et divin adoré, je vais m’évertuer à finir ce gribouillis jusqu’à la dernière extrémité du blanc de mon papier pour que tu n’aies pas de mauvaise pensée sur mon pauvre cœur qui ne devrait pas être responsable de mon ignorance de toute chose qui n’est pas toi et de ma stupidité native dont il souffre tout le premier chaque fois qu’il essaie de parler au tien autrement que dans l’idiome des baisers et des caresses.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16379, f. 76
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette