14 mai [1848], dimanche matin, 7 h. ½
Bonjour, mon petit homme affairé et pressé… de ne pas me voir, bonjour, je vous aime mais je bisque. Je vous ai attendu jusqu’à onze heures et demie hier et puis je me suis verrouillée en désespoir de cause. Je ne grogne pas parce que je sens que tu es triste dans ce moment-ci et que je ne veux pas ajouter ma maussaderie à la trop sérieuse préoccupationa que te cause le projet du voyage de Charles [1]. J’espère que tout cela s’arrangera mieux que tu ne penses et qu’au moment de quitter sa famille ce jeune garçon y regardera à deux fois. Je l’espère parce que je le désire et je le désire parce que je ne peux pas supporter la pensée d’un chagrin pour toi. Aussi tu as bien fait de ne pas venir hier au soir si c’était pour t’occuper de ta famille. À force de t’aimer je trouve même du bonheur à t’avoir fait ce sacrifice. Et puis j’espère que tu m’en dédommageras bientôt. En attendant je vis dans le souvenir du passé et je t’adore de toutes mes forces.
Juliette
MVH, 8082
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux
a) « préocupation ».
14 mai [1848], dimanche, midi
Il me tarde de te voir, mon bien-aimé, pour savoir où tu en es de tes affaires. Non par frivole curiosité mais parce que je t’aime et que tout ce qui te touche m’intéresse plus que ce qui me regarde personnellement et puis je te verrai, ce qui est l’unique joie de ma vie. Je sais bien que tu ne t’aperçois guère si je ne suis occupéea que de toi, si je t’admire, si je t’aime, si je t’adore puisque tu lis les journaux et que c’est à grand peine que je parviens à te faire lever les yeux deux ou trois fois. Mais enfin cela me suffit, je te vois, je suis heureuse. La journée me semble déjà bien longue. Est-ce que tu ne vas pas bientôt venir ? Je le voudrais. Je compte les minutes. C’est une noble occupation. Je le sais mais j’aime mieux te baiser. Dépêche-toi donc à venir si tu veux me rendre bien heureuse. Dans le cas où tu ne le pourrais pas je te pardonne et je t’attends avec un redoublement d’impatience et d’amour. Pense à moi, mon Toto, pour que je le sente, que je sois moins malheureuse de ton absence.
Juliette
MVH, 8083
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux
a) « occupé ».