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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 1er janvier 1858, vendredi matin, 8 h. ¾

Merci mon doux et ineffable bien-aimé, merci de ta bonne chère petite lettre qu’on dirait écrite sous la dictée de mon âme même. Merci, pour notre bonheur passé, merci, pour notre bonheur présent, merci, pour notre bonheur éternel. Comment vas-tu, mon pauvre adoré ? Je n’ai pas précisément confiance dans les remèdes trop féroces que tu as employés depuis hier ; aussi je suis un peu inquiète ce matin sur le résultat de toutes ces lotions infernales. Dès que tu pourras me donner une minute, mon ineffable bien-aimé, je te prie de venir me rassurer. En attendant je lis et je relis ma chère petite lettre [1] et je la baise des yeux, des lèvres, du cœur et de l’âme. Sans pouvoir satisfaire mon besoin de t’aimer. La terre et le ciel ne me paraissent pas assez grands pour contenir mon amour ni l’éternité assez longue pour tout ce que j’ai d’admiration et de tendresse à répandre dans tes chers petits pieds. Aussi je prends à parti tous ceux que tu aimes pour leur donner le trop plein de mon cœur et je leur souhaite, à travers toi, tous les bonheurs, tous les honneurs, et toutes les joies de ce monde. Puis je reviens à nos deux anges et je leur confie mes plus tendres et mes plus ardentes prières pour toi, mon adoré bien-aimé, dont la santé, la gloire et le bonheur me sont plus chers que la vie.
Je viens de voir ta fenêtre ouverte ce qui me donne l’espérance que tu vas bien et que je vais te voir bientôt. Quel bonheur. Je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 1-2
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette


Guernesey, 1er janvier 1858, vendredi soir, 4 h. ¼

Reviens mon bien-aimé, reviens bien vite, reprendre ta chère petite place auprès de mon feu sans crainte d’en être dérangé par les visites traditionnelles car elles sont toutes épuisées et tu es sûr de ne plus en être importuné ; car Kesler, que tu as vu, Duverdier qui est venu après, Mlle Loisel, Mme Préveraud et Terrier sont arrivés en même temps et repartis en bloc. Rien ne peut donc plus troubler ton travail ni le doux tête à tête que je prends à ton insu pendant que ton esprit fait des pointes dans le ciel poétique. Sans compter que tu pourras te soigner si, comme je le crains, tu es encore en proie à ton affreux rhume de cerveau. En attendant, je cause avec ma chère petite lettre qui en dit plus long à mon cœur qu’elle n’est grosse [2] ; puis je regarde le beau ciel rempli de nuages bien assemblés que tu admires probablement dans le même moment si tu es sur la colline comme c’est ton habitude. Puis je songe aussi avec angoisse et remords, que j’ai à écrire à Brest, ce qui devrait déjà être fait depuis longtemps. Voilà plus de trois mois que je ne leur ai donné de mes nouvelles, à ces pauvres bas-bretons [3], et ils doivent me croire morte et enterrée. Ce soir, pendant que tu pique-niqueras en foule, je ferai de la rédaction solitairement, mais non solidairement et je t’aimerai dans mon petit coin sans partage et sans gêne. Mais d’ici là, je voudrais bien te voir un peu pour mes étrennes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16379, f. 3-4
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Dans sa lettre rituelle écrite à l’occasion du nouvel an, Hugo a écrit à Juliette, le 31 décembre 1857 : « Non, je ne manquerai pas à la douce habitude et ma dernière pensée de 1857 et ma première de 1858 seront pour toi comme seront pour toi ma dernière pensée de la vie et ma première pensée de l’éternité. » (édition de Jean Gaudon, ouvrage cité, p. 217).

[2Peut-être une réminiscence des Femmes savantes, où Bélise commente ainsi le « quoi qu’on die » du sonnet de Trissotin : « Il est vrai qu’il dit plus de choses qu’il n’est gros. » (Acte III, scène, v. 792.)

[3La famille de Juliette Drouet habite en Bretagne.

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