20 avril [1848], jeudi matin, 9 h.
Bonjour, mon aimé petit Toto, bonjour. Je vois avec chagrin le temps qu’il fait parce que je crains que cela ne m’empêche d’aller avec toi. Cependant je persiste jusqu’à présent dans le projet d’aller t’attendre après t’avoir conduit à l’Académie. Il faudrait qu’il plût davantage tantôt pour m’y faire renoncer. J’ai trop regretté hier de ne m’être pas trouvée chez moi quand tu y es venu pour ne pas tout faire aujourd’hui pour me rabibocher avec tout cela, cette pauvre fête nationale fera une triste figure [1]. Il est difficile d’être bien imposant quand on est crotté et mouillé comme un caniche. Pour la première fois de ma vie je m’intéresse au sort de cette infortunée garde nationale. J’aurais désiré qu’il fît un temps magnifique et qu’elle eût beaucoup de succès. D’aborda c’est que j’en aurais profité pour ma part et que j’aurais pu aller et venir accrochée à votre cher petit bras de chez moi à l’Académie et de l’Académie chez moi. Je n’ai pas plus de chance que la garde nationale c’est ennuyeux. Cependant je vous aime encore plus qu’elle n’aime sa République.
Juliette
MVH, 8067
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux
a) « Dabord ».
20 avril [1848], jeudi midi
Je persiste, mon petit homme, dans le projet de t’accompagner tout à l’heure. Il faudrait que tu t’y opposesa pour m’y faire renoncer. En somme je ne crains pas la pluie et je crains plus que je ne puis dire de perdre une occasion de te voir. Elles sont si rares qu’elles font presque événement dans ma vie, soit que j’en profite ou que je les manque. Mon Victor aimé, mon naïf lion, mon doux aigle, mon grand citoyen, mon beau garde national, mon sublime petit cochon, prenez garde D’ABÎMER votre beau paletot. Je vous conseille de bien cacher vos VELOURS quand il pleut. Fichtre ce serait malheureux de gaspiller ce chef-d’œuvre de la belle jardinière et de compromettre en trois ans vos 19 francs [50 sous ?]. Bigre je m’y oppose et j’espère bien que les Blanqui futurs se tailleront des pourpoints dans votre paletot de roi et qu’ils s’en sècheront les barbes avec volupté [2]. En attendant je vous prie de le ménager et de ne le mettre que les jours fériés. Voime, voime, vilain sale tâchez de ne pas vous compromettre et de rester pur de toute participation auxa vertus et aux poux républicains. J’aime mieux moins de puces et plus de linge blanc. Taisez-vous vilain sale et baisez-moi.
Juliette
MVH, 8068
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux
a) « oppose ».
b) « au ».