Paris, 25 mai [18]78, samedi soir, 5 h.
« Le cœur y va bien c’est les jambes y vont mal », disait le vieil invalide de Charlet [1]. C’est comme moi, maintenant, je t’adore, mais pas plus de jambes que sur la main. Plus je vais et moins je marche, c’est désolant. D’après le conseil d’Allix j’ai pris un bain ce matin. Tant que j’ai été dedans je sentais un grand soulagement mais une fois sortie, c’était le contraire. Depuis tantôt il m’est presque impossible de me traîner d’un coin de ma chambre à l’autre en m’accrochant à tout. Il y a des moments où je crois que je ne remarcherai plus jamais et cela me désespère et puis je me reproche de t’occuper de mes infirmités prévues et d’en attrister ta vie si nécessaire à l’humanité tout entière. Loin de me plaindre, je devrais, au contraire, te sourire toujours afin de conserver en toi ton inaltérable sérénité, ta belle santé et ta joie olympienne. Quant à ton génie rien ne peut heureusement [mordre ?] sur lui à ma grande admiration. Les Bornier ne viendronta pas ce soir et je n’en suis pas fâchée dans le doute où nous sommes tous les samedis du nombre de nos convives. Quant au pauvre Paul Foucher, je crains bien pour lui qu’il ne s’illusionne absolument sur les témoignages de sympathies qu’il inspire. D’avance je le plains de la déception cruelle qui l’attend et contre laquelle les meilleurs ne peuvent rien que le plaindre [2]. Je t’adore, sois béni.
BnF, Mss, NAF, 16399, f. 137
Transcription de Chantal Brière
a) « viendrons ».