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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 décembre [1847], vendredi matin, 9 h.

Bonjour, mon doux adoré, bonjour sur toute votre chère petite personne. Certainement non, vous n’avez pas le droit de disposer de votre manuscrit en faveur d’autre que moi [1]. Je ne suis pas contente du tout et je m’en veux de vous l’avoir laissé emporter hier au soir. Une autre fois je ne serai pas si bonnasse et je ne me laisserai pas lézer, lézer et trop parfaitement lézer [2] par un monstre d’homme comme vous. D’abord pourquoi vous êtes-vous en alléa si tôt ? Tout cela n’est ni très juste ni très clair et je crois que je ferai bien de vous surveiller un peu de près. Je n’ai pas besoin d’être bourreléeb [3] d’infidélités aussi je me tiendrai sur mes gardes. En attendant vous allez passer la journée à lire votre gros manuscrit. Le lire, ça ne me vexe pas horriblement et je le trouve tout simple, mais ce qui m’offusque c’est que vous donniez à copier de mon manuscrit à des gens qui n’ont pas le temps tandis que moi je suis là à [ne] rien faire. Voilà ce qui m’exaspère et me fait trouver le procédé peu délicat. Enfin, mon petit homme, que votre volonté soit faite, comme toujours, et si cela vous arrange mieux ainsi je dois m’y conformer. Cela ne m’empêchera pas de vous aimer de toutes mes forces. Qu’est-ce qui pourrait m’empêcher de vous aimer moins [4] ? Rien ni personne. Mon sort est de vous adorer.

Juliette

MVH, α 8017
Transcription de Nicole Savy

a) « aller ».
b) « bourelée » (orthographe ancienne).


17 décembre [1847], vendredi soir, 4 h. ½

J’en étais bien sûre, que vous ne reviendriez pas une fois que vous auriez emporté ce cher manuscrit [5]. Avec ça que vous pourrez bien tout lire aujourd’hui. Quand je pense que vous ne trouvez pas le temps de m’en lire à moi une pauvre petite page ou deux, je suis furieuse. Laissez faire, allez, quand j’aurai des manuscrits A MOI je ne vous les montrerai pas et ils vous passeront devant le nez un peu gentiment. Il paraît que mon admiration à moi ne vaut pas celle des autres ? Malhonnête, on vous en fichera des Juju littéraires comme moi pour avoir l’air de cracher dessus. On peut bien n’être pas aussi mariée que Mme Bourel et avoir le nez plus court que Vacquerie [6] sans être une bête stupide. Enfin c’est votre opinion. Vous êtes libre, seulement je vous défends à l’avenir de me faire corriger vos pataquès : gardez-les pour vos intimes et pour vos préférées. Moi je garderai mon courage et mon dévouement, nous verrons celui de nous deux qui en sera le plus attrapéa. Il me semble déjà que ce n’est pas moi.
Il paraît que vous y passerez la nuit, à lire votre manuscrit. Merci, ils ne doivent guère bisquer, ceux à qui vous lisez vos élucubrations. C’est bien fait, ça leur apprendra à faire les connaisseurs. Je n’en suis pas fâchée pour mon compte et je voudrais que vous les teniez trois jours sans boire ni manger. Je ne dis pas sans DORMIR, vous remarquerez. Je t’insulte comme je peux, c’est bien fait.

Juliette

MVH, α 8018
Transcription de Nicole Savy

a) « attrappé ».

Notes

[1Il s’agit du manuscrit de Jean Tréjean.

[2Imitation de Mme Triger, femme du médecin de Juliette (voir la lettre du 22 mars 1847).

[3Au sens étymologique : tourmentée comme par un bourreau. Jeu de mots sur le nom de Mme Bourrel, dont Juliette est jalouse.

[4Juliette est distraite. Il faut enlever « moins » ou remplacer « m’empêcher de » par « me pousser à ».

[5Le manuscrit de Jean Tréjean.

[6Auguste Vacquerie avait un long nez, dont Juliette Drouet se moque souvent.

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