4 mars [1848], samedi matin, 8 h. ½
Bonjour, mon doux bien-aimé, bonjour mon amour adoré, bonjour. Que fais-tu à l’heure qu’il est ? Penses-tu à moi ? Je n’ose pas l’espérer avec les nombreuses affaires que tu as sans parler des amateurs D’AJUSTEMENTS. En revanche si tu n’as pas le temps de penser à moi, moi je n’ai que celui de m’occuper de toi, tout le reste m’est indifférent. Il m’est impossible de m’intéresser à quoi que ce soit qui ne te touche pas de près ou de loin. Ma pensée, ma vie, mon âme tout est tournéa vers toi comme l’aiguille au pôle. Mon sommeil même est empreint de cette préoccupationb fixe. Si je rêve ce n’est que de toi. Je ne sens l’air du printemps qu’à travers ton haleine, je ne saluec l’influence vivifiante du soleil qu’à travers ton beau regard qui me réchauffe et m’éblouit. Ta parole est un chant plus doux à mon oreille que tous les gazouillements joyeux des oiseaux, enfin je t’aime à pleind poumons et avec toutes les aspirations de mon âme. Je voudrais passer ma vie à tes pieds. Si la métempsychosed existait je voudrais être ton chien de garde. Malheur aux ajusteurs fanatiques je les dévorerais comme un chien que je serais.
Juliette
MVH, 8050
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux
a) « tournée ».
b) « préocupation ».
c) « salus ».
d) « pleins ».
e) « métempsycose ».
4 mars [1848], samedi matin, 11 h.
Je vais aller faire ta commission, mon bien-aimé, mais il est probable que je rencontrerai en route le cortège des morts de février [1]. Non pas que j’aie peur : je sais très bien qu’il n’arrivera rien mais j’aurais mieux aimé ne pas me trouver dans cette bagarre. Cependant j’ai trop à cœur de contribuer pour ma part à faire rendre justice à la vertu et au dévouement de cette pauvre femme pour ne pas vaincre ma répugnance en portant ta lettre aujourd’hui même au père T. [2] J’ai bien peur qu’il n’obtienne pas ce certificat. Il est très peu fort en fait d’éloquence et de plus il est très lucrativement occupé ce qui est encore une espèce d’empêchement. Cependant je lui ferai comprendre l’importance de la démarche que nous attendons de lui et j’espère qu’il ne s’y refusera pas. Le tout est qu’il réussisse auprès du maire. Jour Toto, jour mon cher petit o. Je n’ai pas voulu m’en aller sans t’avoir écrit ma petite lettre sacramentelle dans laquelle je mets toute mon âme comme dans une boîte afin qu’elle t’arrive intacte et toute pleine de son amour et de son adoration pour toi.
Juliette
MVH, 8051
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux