1er mars [1848], mercredi matin, 8 h.
Bonjour, mon bien-aimé, bonjour, mon noble et généreux homme, bonjour. Comment vas-tu ce matin ? As-tu pu dormir enfin ? Pour moi je dors mais je dors mal, c’est-à-dire que je me réveille d’heure en heure et plusieurs fois encore dans l’intervalle. Aussi mes nuits me fatiguent-elles plus qu’elles ne me reposent. Cependant il faudra bien que cela rentre dans l’état normal et que je reprenne le dessus. Dès que j’aurai fini d’écrire mes impressions et mes souvenirs des trois dernières glorieuses je te prierai de me donner à copier [1] ; il n’y a que cela qui puisse me remettre tout à fait de mes émotions de la semaine passée. En attendant je tâche de renouer toutes mes ficelles relâchées pour n’avoir pas l’air d’un polichinelle malade. Je voudrais prendre quelque chose de TONIQUE, est-ce que vous pourriez m’en offrir ? J’accepterai avec reconnaissance et avec joie un CORDIAL [2] qui me remettrait d’aplomb sur mes jambes de coton. Tout ceci sans préjudice du bonheur que j’aurais à contribuer à t’aider à faire une bonne action. Mais hélas j’en doute l’Académie ne s’en rapporte pas à la seule qualité de l’action, il lui faudra la QUANTITÉ et la PUBLICITÉ comme si la pudeur n’était pas la première vertu de la charité. Enfin tu fais bien de le tenter et pour ma part je t’en suis bien reconnaissante [3]. Si je pouvais t’en aimer davantage cette nouvelle générosité m’y pousserait mais il y a longtemps que mon cœur déborde et qu’il n’y a plus moyen d’y ajouter une seule goutte de quoi quea ce soit, ni admiration, ni amour, ni adoration. Je t’aime par-dessus les bords.
Juliette
MVH, 9026
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux
a) « quoique ».
1er mars [1848], mercredi matin, 11 h.
Je vais de ce pas chez M. Triger. Je ne sais pas si je le trouverai mais je suis décidée à l’attendre dans le cas où il devrait rentrer dans la journée. Je crains qu’il ne se refuse à me faire cette lettre par des raisons de prudence exagérée ou s’il y consent qu’elle ne puisse pas te servir à cause de ton insuffisance. Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas plus de confiance dans le courage et l’éloquence de ce brave père Triger qui cependant au fond est un bon et honnête homme. J’ai tort je lui en demande d’avance pardon au fond de mon cœur. Ce qu’il y a de sûr c’est que jamais récompense ne serait arrivée à une plus digne et plus vertueuse femme que celle dont tu t’occupes aujourd’hui. Dans le cas où M. D. [4] viendrait tantôt à la maison j’ai dit à Suzanne de m’attendre s’il pouvait. Maintenant, mon adoré, je ne veux pas partir sans te dire à quel point tu es mon bonheur, mon orgueil, ma joie, ma vie, mon âme, je t’aime, je te bénis, je t’adore.
Voici une lettre de Mme Luthereau. Je ne t’attends [pas] pour l’ouvrir dans mon impatience de savoir des nouvelles. Il est impossible que cela te fâche et je cède à ma curiosité. Du reste tu la liras mais tout cela est fort triste. En attendant je te baise du fond du cœur.
Juliette
MVH, 9027
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux