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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 février [1843], mercredi matin, 11 h. ¼

Bonjour, mon bien-aimé, comment va ton petit Toto, comment vas-tu toi-même mon pauvre père triste et désolé ? Je ne m’étais pas aperçuea hier, jusqu’au moment où tu t’en es allé, dans quel état tu avais tes pauvres yeux. Mais mon pauvre ange bien-aimé, si tu n’y prends pas garde, si tu ne veux pas user de ton courage et de ta raison, tu te feras un mal affreux et tu tomberas malade. Je n’ose pas te dire de penser à moi et à mon désespoir mais à celui de ta famille si tu étais sérieusement malade. Je voudrais trouver des paroles assez éloquentes, des caresses assez tendres pour te consoler et pour te rendre heureux. Malheureusement ce ne sont pas ceux qui aiment le plus qui ont le plus d’esprit et dont les caresses sont les plus persuasives. J’en fais l’expérience depuis dix ans.
Je ne serai pas tranquille jusqu’à ce que je t’aie revu, que tu m’aies dit comment va ton cher petit Toto et que je n’aie baisé tes pauvres yeux adorés. Dépêche-toi si tu peux mon bien-aimé car j’ai le cœur bien gros et bien triste depuis que tu m’as quittéeb.
J’ai envoyéc chez Mme Pierceau. Elle pense que M. Démousseau viendra lundi sans faute à 4 heures. Il faudra que j’en prévienne cette hideuse Ribot. Quand je pense au sacrifice que tu fais et à ce qu’est cette vieille voleuse, je regrette de t’avoir laissé faire. Pauvre ange adoré, il est triste que le plus pur de ton sang et de ta vie passe à cette vieille gredine. Plus j’y pense et plus je regrette que tu sois entré en arrangement avec elle. Quel affreux monstre. Cela me fait penser à un autre monstre encore plus hideux : à Charles Maurice [1]. Celui-là est encore plus ignoble et plus odieux. Si tu pouvais l’écraser de ton talon, j’en serais bien heureuse car rien ne me révolte plus que l’impunité pour de pareils monstres.
Pauvre bien-aimé, tu es accablé d’affaires et de soucis de tous genres et tu as peu le cœur à penser à mes vociférations. Aussi je t’en demande pardon et je te prie à genoux de te calmer et de te tranquilliserd. Ton petit Toto sera guéri demain et ta Didine sera heureuse toute sa vie et moi je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 171-172
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « aperçu ».
b) « quitté ».
c) « envoyer ».
d) « tranquiliser ».


22 février [1843], mercredi soir, 7 h. ¼

Je viens de lire la lettre de Didine, mon bien-aimé, elle est tendre et charmante et elle a dû adoucir l’amertume que son départ t’avait laissée. J’espère, mon pauvre ange, que tu vas avoir plus de courage maintenant et que le bonheur de ton enfant adoré ne te sera plus un sujet de larmes et de désespoir ?
Que n’aurais-je pas donné, mon Toto, pour passer toute cette soirée avec toi. Je suis si triste de te quitter avant d’avoir eu le temps de goûter le bonheur d’être avec toi que si tu pouvais sentir cette tristesse comme je l’éprouve, tu n’aurais pas le courage de me quitter. Autant j’étais gaie et heureuse en sortant de la maison, autant j’avais envie de pleurer en y rentrant. Je te remercie pourtant, mon adoré, du fond de l’âme pour cet éclair de bonheur que tu m’as donné ce soir. Je te remercie aussi d’avoir pensé à moi et au chagrin que j’aurais eu à te savoir tête-à-tête avec Mme Mélingue. Je ne ferais pas autrement à ta place, mon adoré, tu le sais bien n’est-ce pas ?
Tâche, mon adoré, de mettre le comble à tes bons procédés aujourd’hui en revenant de bonne heure ce soir et en ne regardant pas les faumes de ce soir excepté la mère, la grand-mère et les petits cousines de la mariée [2]. Si vous avez le malheur de regarder les jeunes femmes et les jolies, s’il y en a, je le sentirai tout de suite et je serai la plus malheureuse des femmes. Faites bien attention à cela, mon amour et soyez-moi bien fidèle de pensée, des yeux, du cœur, du corps et de l’âme comme vous voulez que je le sois pour vous. Baise-moi, mon Toto chéri et ne te tourmente pas sur ton cher petit garçon, ce ne sera rien. Je t’aime mon Toto. Je t’adore mon petit homme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 173-174
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Chroniqueur théâtral du Courrier des théâtres, particulièrement fielleux et corrompu.

[2Ce jour-là, Victor Hugo assiste à un mariage.

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