Paris, 31 janvier [18]71, mardi matin, 8 h.
La nuit de Petite Jeanne a été bonne, dit la nourrice, ce qui n’empêche pas la pauvre petite d’être toujours bien dolente et bien triste. Je l’ai tenue sur mes genoux tout le temps qu’elle a voulu y rester, une demi-heure environ, et j’ai remarqué combien elle était encore faible et sa pauvre petite bouche fiévreuse. Cela explique de reste qu’elle ne veuille rien prendre que le sein de sa nourrice. Ce cher petit ange est mon souci de jour et de nuit et je donnerais tout au monde pour l’empêcher de souffrir. J’espère que la crise touche à sa fin et que nous la reverrons bientôt souriante. Et heureuse comme par le passé. Ce jour-là mon cœur sera soulagé d’un grand poids. En attendant je désirerais bien savoir comment tu as passé la nuit. Je crains que tu dormes peu et mal surtout en ce moment. Je voudrais être plus vieille de huit jours pour savoir ce que sont devenus tous les sujets de tourments qui m’agitent et m’obsèdent aujourd’hui. J’en suis à désirer que tu ne sois pas nommé [1], tant la situation présente et à venir me semble difficile et dangereuse. Je sais bien que, loin de t’effrayer, c’est une raison de plus pour toi d’entrer dans la lutte aussi ce que je dis n’est pas pour t’en détourner mais pour demander à Dieu de me donner des forces à proportion de ton courage et de mon amour.
MLVH Bièvres, 130-8-LAS-VH 44 a, b et c
Transcription de Gérard Pouchain et Florence Naugrette