Paris, 22 déc[embre 1870], jeudi, 2 h. après-midi
Cher bien-aimé, voici un gribouillis qui se ressentira inévitablement du doux brouhaha de tes deux chers petits-enfants, lesquels remplacenta sur mon tapis la privation de promenade et l’absence de soleil devant mon bon feu. Cet adorable petit tapage m’enhardit à t’avouer que je n’ai pas eu le courage de résister à Mme Charles tantôt lorsqu’elle m’a envoyé chercher deux œufs pour les deux petits enfants [1]. Jamais, mon cher bien aimé, je n’accepterai l’odieuse apparence de disputer à tes enfants leur autorité sur leur petite famille, fût-ceb même en ton nom, et, pour te dire ma pensée tout entière, je crois que tu ferais mieux, dans l’intérêt de Petite Jeanne, de paraître céder sur beaucoup de points à la jeune mère jalouse très injustement de ton affection qu’elle croit inégalement partagée entre ses deux enfants. D’ailleurs il ne s’agit pour le moment que de quelques œufs de plus ou de moins ce qui, en somme, n’a pas une bien grande importance. Je te demande pardon, mon cher adoré, de ma désobéissance et de ma résistance à ta volonté. Il faut que je sois aussi convaincue que je le suis que tu ne gagneras rien de bon à me la faire exécuter pour oser te tenir tête, moi qui suis d’ordinaire l’obéissante passive [2] pour toutes volontés.
MLVH Bièvres, 130-8-LAS-VH 16 a, b et c
Transcription de Gérard Pouchain
a) « remplaccent ».
b) « fussse-ce ».