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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 novembre [1838], mercredi, midi ¾

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon petit homme chéri. Es-tu enfin sorti de ton coup de feu ? Comment vont tes yeux ? Et quand serons-nous un peu à nous ? Il a fallu renoncer à la vallée de Bièvres cette année, et je ne vois pas beaucoup ce que l’autre nous apportera de liberté et de bonheur. Il fait pourtant beau ce matin, ce serait bien le cas de partir pour le plus longtemps possible, pour ne plus revenir même.
Je dis et je sens des choses insupportables. D’abord tu n’es pas dans la même position que moi, et puis enfin tu ne m’aimes pas comme je t’aime. Je ne sais pas si tu me mèneras ce soir à Ruy Blas. Je fais mes préparatifs en cas, quitte à rester chez moi, triste et seule, à faire tourner mes pouces sur mes genoux. Je viens de faire ta tisane, tout à l’heure je ferai mon ménage, et puis je me coifferai, et si vous ne m’emmenez pas ce soir, vous serez un très vilain et très méchant homme. Vous ne m’avez pas apporté Le Vert-Vert [1] hier, pourquoi ? Est-ce qu’il y avait quelque chose de désagréable pour moi ? Je ne suppose pas que ce soit pour m’empêcher de relire les vers que Méry a faits pour vous [2] ? Et puis Théophile Gautiera qui vous offre sa compagnonne, tout cela me trouble et me rend très malheureuse, et j’en ris pour n’en pas pleurer, quoique j’en aie très envie.
Je suis triste, mon Dieu, je serais contente si je pouvais mourir. Je m’ennuie dans l’âme. Je vis une vie si contre-nature, si contraire à tout bonheur, qu’en vérité il vaudrait mieux ne pas vivre. Je me plains plus fort que de coutume parce que je t’aime plus que jamais. Je voudrais t’aimer moins pour ne pas sentir si vivement le chagrin de ton absence, mais je ne le peux pas. Avec cela que nos soupers, les seuls moments où je pouvais te voir, vont finir peut-être dès ce soir ? Je suis bien malheureuse, va. Plains-moi si tu peux, et aime-moi si tu en as le temps. Je souffre beaucoup, je t’assure.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16336, f. 166-167
Transcription d’Élise Capéran assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Le Vert-Vert est un journal des théâtres.

[2Joseph Méry avait composé un discours en vers pour l’ouverture du Théâtre de la Renaissance.

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