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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 juillet [1838], mercredi matin, 10 h. ½

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour ma joie. Comment vas-tu ? Comment m’aimes-tu ? Je sais que tu as encore passé la nuit à travailler pour moi et je crains pour tes pauvres yeux ce matin. Tu es mon pauvre petit bien-aimé adoré et révéré comme un bon petit saint que vous êtes. Je vais vous faire votre eau tout à l’heure mais je n’ai plus autant d’ardeur à la faire depuis que je sais qu’elle a perdu presque toute sa vertu. Auparavant, il me semblait que je faisais une œuvre merveilleuse qui devait contribuer à te guérir tout à fait. Maintenant je n’y ai plus de confiance. Quel malheur qu’on ne puisse pas faire des échanges de cette nature-là ! À la place de tes beaux yeux, je te donnerais mes bons et tout serait dit. Nous aurions chacun notre affaire ; moi, les beaux yeux pour te plaire, toi les bons yeux pour te dévouer jour et nuit pour ta famille et pour moi. Je suis furieuse contre le bon Dieu qui n’a pas permis qu’on puisse donner ses membres un à un à l’homme qu’on aime, qu’on lui donne sa vie en masse. J’aime mon Toto. J’aime mon Toto. J’aime mon Toto. Voilà le cri du toucan amoureuxa. Je vais écrire à Gérard [1] pour lui donner contre ordre. Un toucan en voyage n’a pas besoin de chapeau pourvu qu’il aitb Toto sous la patte, c’est tout ce qu’il lui faut. Je t’adore vous et mes deux actes [2]. Je les veux tout de suite, si cela te fatigue trop les yeux je les lirai moi-même.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16335, f. 95-96
Transcription de Sandra Glatigny assistée de Gérard Pouchain

a) Dessin de toucan :

© Bibliothèque Nationale de France


b) « est ».


25 juillet [1838], mercredi soir, 7 h.

Mon cher petit homme, je t’aime. Tu es bien préoccupéa mais moi je t’aime. De ta préoccupationa il sortira un chef-d’œuvre, de la mienne, de l’amour. Nous sommes chacun dans les conditions que Dieu nous a assignées : toi, le grand poète, moi la femme qui aime. Ramez, dit-elle, rêvez, dit-elle, et aimez [3]. Mon Dieu, que c’est donc beau mon Dieu ! mon Dieu ! mon Dieu ! Veux-tu que je baise tes petits pieds, dis ? Veux-tu que je reste à genoux devant toi, dis ? Veux-tu que je laisse déborder mon admiration et mon amour sur tes pieds, dis ? Oh ! C’est que je t’aime comme jamais que je ne t’ai aimé. Mon amour se féconde à chaque minute. Chaque fois que j’y regarde, j’y trouve des fleurs nouvelles qui n’y étaient pas un instant auparavant. Oh ! mes deux actes, mes deux actes [4], que je voudrais les entendre. Je donnerais deux ans de ma vie pour que ce fût ce soir. Je t’aime. Sens-tu cela ? Je t’adore, sens-tu cela ? Viens me chercher le plus tôtb, c’est le meilleur. Prends garde qu’il ne t’arrive rien.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16335, f. 97-98
Transcription de Sandra Glatigny assistée de Gérard Pouchain

a) « préocupé », « préocupation ».
b) « plutôt ».

Notes

[1À élucider.

[2Hugo a terminé l’acte I de Ruy Blas le 14 juillet et l’acte II le 22 juillet.

[3Allusion au poème « Autre guitare » (Les Rayons et les Ombres) composé le 18 juillet 1838, et que Hugo a donc donné à lire rapidement à Juliette : « Ramez, disaient-elles [...] Aimez, disaient-elles ».

[4Hugo a terminé l’acte I de Ruy Blas le 14 juillet et l’acte II le 22 juillet.

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