2 juillet [1838], lundi matin, 11 h.
Bonjour, mon cher petit bien-aimé. Je t’aime. Comment vas-tu ? Bonjour, pense à moi et aime- moi aussi un peu car j’ai bien besoin que tu m’aimes. Je n’ai pas encore reçu de lettre de ma fille ni de Mme Lanvin. Leur empressement à me répondre est assez médiocre comme tu vois. J’ai un besoin de toi qui ne peut pas se rendre et je donnerais tout au monde pour une journée toute entière passée avec toi à la campagne ou ailleurs, le lieu m’est égal. Pense mon pauvre-bien aimé que depuis 8 mois, nous n’avons dînéa hors de chez moi qu’une seule fois et depuis 5 mois je ne te vois presque pas. Ton procès [1], tes reprises de pièces [2] et maintenant ton travail t’ont tenu presque toujours éloigné de moi. Aussi je suis affamée d’amour et de bonheur comme une femme qui aurait passé une semaine dans la tour de la faim. Je donnerais un an de ma vie pour un jour avec toi. Si on pouvait faire ce trafic-là, il y a bien longtemps que je serais morte et enterrée car j’aurais dépensé tout mon saint Frusquin d’un coup mais aussi QUEL BONHEUR !
Juliette
BnF, Mss, NAF 16335, f. 5-6
Transcription de Sandra Glatigny assistée de Gérard Pouchain
a) « dînés ».
2 juillet [1838], lundi soir, 10 h. ½
La pendule de Mme Pierceau avance aussi de trois quarts d’heure et, comme Mme Triger ne fait que de s’en aller, je commence seulement à vous écrire. Vous m’aviez l’air d’un fameux tranche-montagne [3] tantôt mon amour. Est-ce que par hasard vous me trahissez Toto, MON CHER AMI ? Prenez garde à vous ! J’aiguise mon grand couteau, je vous en préviens, cher bijou, chère âme, cher enfant, cher toi, je t’adore. Je donnerais tout au monde pour t’avoir là tout de suite, à baiser, à dévorer, je me fatigue à vous désirer toujours. Il serait bientôt temps de me satisfaire car, à force de mâcher à vide, je finirai par user tout mon râtelier. Mon amour, mon amour, aimez moi, pensez à moi pour n’être pas tout à fait en reste avec moi. Jour mon petit o, soir pa. J’ai mal à la gorge, moi. J’ai mal dans l’âme, moi. J’ai mal partout, moi. Je suis bien vieille, moi. Je suis bien bête, moi. Je suis bien amoureuse de mon Toto, moi et j’ai encore bien d’autres infirmités.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16335, f. 7-8
Transcription de Sandra Glatigny assistée de Gérard Pouchain