Paris, 29 août [18]73, vendredi après-midi, 2 h.
Cher bien-aimé, ta confiance en mon épistolairerie m’honore sans me convaincre ; cependant, pour t’obéir, j’essaierai d’écrire à ta belle-sœur [1], sinon aujourd’hui, demain. L’action de compter avec Mariette par livres, sous et deniers est suffisamment laborieuse pour n’y rien ajouter : PAS D’AUTRE. Aujourd’hui la dépense s’est alourdie de 12 livres de charbon ; hier des gages des deux bonnes 55 livres, en outre de notre dîner extra je crois que si nous devions rentrer bientôt dans nos maisons respectives le mieux serait de faire venir Suzanne au point de vue économique. Au reste tu sais mieux que moi ce qui te plaît et te convient le mieux. Je ne désire qu’une chose, te servir au mieux dans la limite de mes forces et dans les conditions les plus opportunes pour toi. À défaut d’autre mérite j’ai celui de l’obéissance passive [2]… mais pour toi seulement. Contre le reste des humains, à quelques très rares et très précieuses exceptions près, je suis en révolte ouverte et irréconciliable.
Quelle belle lecture hier mon sublime, mon divin bien-aimé ! J’en avais le cœur ému et enivré comme la première fois où j’ai entendu ce chef-d’œuvre dans lequel tu m’avais fait une part si grande et si splendide qu’elle a excité bien des haines et bien des jalousies contre toi et contre moi. En écoutant ta voix si pure, si mâle et si douce je retrouvais une à une toutes mes espérances radieuses d’autrefois et toutes les déceptions douloureuses qui les ont suivies et, loin de me plaindre, je remerciais Dieu en moi-même de m’avoir donné l’amour à la place de la gloire [3]. Cette part me suffit pour cette vie et pour l’autre et je te bénis.
BnF, Mss, NAF 16394, f. 252
Transcription de Manon Da Costa assistée de Florence Naugrette