Paris, 18 août [18]73, lundi matin, 11 h.
C’est avec intention aujourd’hui, mon grand bien-aimé, que j’ai réservé mon gribouillis [matinal ?] pour le moment de ton absence afin de me le faire trouver moins long et moins maussade. Tant que tu es avec moi, ou auprès de moi, je n’ai rien à désirer, je suis heureuse : mais, dès que tu me manques, tout me manque et je ne sais plus que devenir. Pour comble de découragement je ne sais par quel bout prendre ta Mariette et Dieu sait si j’y mets toute ma patience, tout mon savoir-faire et tout mon bon vouloir à cause de toi et en vue de t’épargner les ennuis et les soucis de ton petit ménage. Jusqu’à présent, rien n’y fait. Tout à l’heure, elle m’a déclaré qu’elle ne ferait pas d’AUTRE de cuisine, qu’elle n’était pas engagée pour cela. J’ai eu beau lui faire remarquer que toutes, tant que nous sommes, y compris moi-même, nous nous prêtions à la circonstance, elle n’a voulu entendre à rien. Ce que voyant, je lui ai dit de s’entendre avec toi et que je me bornais pour le moment à enregistrer sa dépense d’où il résulte que tu lui redois encore 16 francs. Cela fait, mon adoré, non sans peine, je reviens à mes moutons habituels : t’aimer, te servir et t’adorer. J’irai ce soir chez Mme Charles à six heures et je te porterai ton beau livre de Trieste [1] que tu lui montreras toi-même ainsi qu’à ton cher Victor [2] avant de le donner à ton Petit Georges. Tâche de venir de ton côté à la même heure.
BnF, Mss, NAF 16394, f. 242
Transcription de Manon Da Costa assistée de Florence Naugrette