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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 juin 1861

Mont-Saint-Jean, 17 juin 1861, lundi soir 8 h.

Cher adoré, pendant que tu t’épanouis dans les douces joies de la famille [1], moi je rassemble toutes mes forces physiquesa et morales pour ne pas me laisser aller à une trop grande tristesse pendant ton absence. Tant que mes yeux ont pu distinguer l’omnibus j’ai suivi la route de Groenendael c’est-à-dire jusqu’à la [betterave ?] renaissante. Arrivée jusque là il m’a fallu renoncer à la douce illusion de mon cher petit point noir à l’horizon et m’avouer que je ne voyais plus rien de rien que le vide immense des vingt-quatre heures de ton absence. Aussi, ne sachant que devenir, et comment tuer le temps, je suis allée jusqu’à l’église de Waterloo par un chemin à travers champ pas trop fatigant et je suis revenue par le village sans avoir visité l’église malgré les offres empressées d’une vieille femme qui m’a appelée sa chère amie. Je suis rentrée à l’hôtel à six heures précises. J’ai profité de la demie heure entre le dîner pour me rafraîchirb et me laver des pieds à la tête puis j’ai passé ma robe de chambre et je suis descendue dans notre petite salle à manger où j’ai mangé sans faim et bu sans soif, tant mon pauvre cœur est déjà désorienté et découragé depuis que tu n’es plus là. Il a fallu que je sois bien convaincuec que je ne pouvais pas t’accompagner à Bruxelles, sans appeler sur nous une curiosité plus ou moins malveillante, pour m’imposer le triste devoir de rester ici. Cette conviction ne me console pas, pourtant, et je suis aussi malheureuse que s’il n’avait tenu qu’à moi de profiter de l’occasion de faire ce petit voyage avec toi. Décidément le respect humain est une vilaine bête plus malfaisante et plus agaçante que tous les zinz zinz et que leurs piqûres les plus envenimées et contre laquelle tous les ammoniaquesd du monde ne peuvent rien. Je m’en aperçois que de reste car mon bras est déjà guéri pendant que mon cœur souffre de plus en plus. Cher adoré, tâche au moins de ton côté de mettre ce temps qui me coûte si cher à profit, sois heureux. Je t’aime, je te bénis et je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16382, f. 81-82
Transcription de Florence Naugrette
[Guimbaud, Souchon, Blewer]

a) « phisiques ».
b) « raffraîchir ».
c) « convaincu ».
d) « amoniaques ».

Notes

[1Hugo est parti rejoindre sa femme et sa fille à Bruxelles.

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