8 mai [1847], samedi après-midi, 3 h. ¾
Je continue de vous maudire et de vous vouer à tous les dieux infernaux. Oh ! je me vengerai allez ! J’aurai mon tour ! Vous verrez quelle pose je ferai chez le marchand de nouveautés. Rira bien qui rira le dernier. J’irai le matin et je ne reviendrai que très tard dans la nuit et chaque seconde qui s’écoulera sera marquée par des achats à mon usage. Vous m’attendrez à votre tour, vous me désirerez, vous bisquerez, vous enragerez comme je le fais dans ce moment-ci et je ferai ce que vous faites tous les jours : je ne me dépêcherai pas de venir mais je m’empresserai de dépenser tout votre argent. Quel bonheur !!! Maintenant que j’ai trouvé un moyen de représailles, je suis plus calme, il me semble que c’est du lait et des robes de soie qui coulent dans mes veines. Je respire par tous les pores des chapeaux de paillea et des brodequins de [illis.]. Je me délecte dans des mouchoirs de fine batiste, je danse avec des bas de dentelle, enfin je suis éthérisée par la plus prochaine et la plus atroce des vengeances. Donc je marche vivante dans mon rêve étoiléb [1] !
Maintenant vous pouvez ne pas venir si vous voulez. Ne vous pressez pas, faites vos affaires, allez à la mairie, voyez Chaumontel et ne négligez pas l’affaire Charles, vous me ferez plaisir et même je vous en prie, je vous en supplie.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16365, f. 102-103
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « pailles ».
b) « étoilés ».
8 mai [1847], samedi après-midi, 3 h. ½
Je suis bien en retard avec moi aujourd’hui, mon Toto, cela tient au samedi, jour très rempli de toutes sortes de ménage et de nettoyagea. Enfin voici que c’est fini. J’ai eu même le temps de raccommoder votre robe de chambre dont la doublure s’en allait en lambeaux. À propos de robe, que dites-vous de votre perfidie ? Quand je pense que j’ai eu la bonhommie de croire que vous viendriez de bonne heure. Il n’y a que moi pour me laisser prendre toujours au même piège. Soyez tranquille, maintenant je serai plus défiante, plus rusée et plus rouée que Jacques Collinb [2], le dab des dabs [3]. Plus vous me défendrez de sortir, plus vous me promettrez de venir de bonne heure et plus j’irai m’acheter de robes aux villes de France [4] réunies et séparées. Vous pouvez vous flatter que c’est la dernière fois que vous m’avez attrapéec. Quand je devrais passer ma vie dans les magasins, dans les bazars, dans les rues et dans les passages, je ne vous attendrai plus seulement une minute. Tant va la Juju à la mystification qu’à la fin elle s’emplit de fureur et d’insubordination. Et puis fâchez-vous si vous voulez. Quand vous auriez à votre tour quelques centimètres de plus de nez, où serait le mal ? J’en ai bien plusieurs pieds, moi, et je ne m’en porte pas plus mal. Taisez-vous, monstre.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16365, f. 104-105
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « nétoyage ».
b) « Colin ».
c) « attrappée ».