Paris, 12 avril [18]77, jeudi, midi ½ [1]
J’étais bien sûre, mon grand bien-aimé, que ta petite lettre [2] me porterait bonheur et santé. Grâce à elle depuis hier je suis la plus heureuse des femmes et la mieux portante aussi, et si je ne respectais pas tant ton divin travail, je t’aurais priée de me faire sortir aujourd’hui ; mais ce n’est que partie remise car dès que croirai pouvoir t’en faire une scie, je te mettrai en demeure d’une forte débauche de grand air, de soleil et de promenade au moins pendant deux heures (qu’on se le dise). Sans compter la lettre de réponse à la franc-maçonnerie de Lyon [3] qui attend après, il paraît, d’après la lettre de Lockroy, que toute ta chère petite colonie est encore à Saint-Jean-de-Luz. Peut-être n’ira-t-elle pas plus loin que la frontière, ce qui serait assez sage n’ayant que très peu de temps devant elle d’ici à la rentrée de la Chambre. Au reste, Mme Ménard, qui dîne avec nous ce soir et qui est en relation quotidienne avec Mme Alice, pourra probablement te renseigner là-dessus.
Mais quel beau temps !!! Malgré moi je pousse un soupir de regret de n’en pas pouvoir profiter séance tenante. Allons, allons, madame Juju, tâchez de rentrer vos cornes et vos velléités de hanneton qui voudrait s’envoler pour une pose mieux appropriée à la circonstance, celle de la bonne femme au repos. Cela m’est d’autant plus facile et plus doux dans ce moment-ci que tu es auprès de moi et que je peux t’adorer de visu et de auditu, de cœur et d’âme.
BnF, Mss, NAF 16398, f. 102
Transcription de Guy Rosa