18 février [1847], jeudi matin, 9 h. ¾
Bonjour, mon petit Toto adoré, bonjour, mon cher amour, bonjour, je t’aime. Je viens de m’apercevoir de ma distraction, j’ai pris une grande feuille double au lieu d’une simple. Cela n’a pas d’inconvénient autrement puisque je suis heureuse mais comme je tiens à t’obéir en tout ce qui dépend de moi, je ne l’achèverai que tantôt, ce qui reviendra au même.
Je te dirai que l’état de mon cœur est des plus rayonnants et qu’il n’y a pas le plus petit nuage à mon ciel. Je suis à l’amour fixe. Tantôt j’irai te chercher à l’Académie, ce sera charmant. D’ici là, je n’ai pas une minute à perdre pour faire toutes mes petites affaires. Il faut que je me dépêche de vous embrasser autant de fois pour la moitié de ce gribouillis que s’il était tout entier. Je le peux facilement, mes moyens me le permettent.
Juliette
Jeudi après-midi, 3 h. ¼
Je suis très contente, très geaie et très heureuse, mon petit Toto, je vais aller vous chercher à l’Académie. Vous m’avez à peine dit bonjour tout à l’heure mais je ne vous en veux pas. Je sais que vous travaillez et que vous avez le droit d’être distrait. Quant à moi qui n’ai pas les mêmes raisons, je vous aime, je vous souris et je vous baise à l’envers et à l’endroit, de loin et de près, en effigie et en chair et encore comme saint Amadou [1].
Il faudra pourtant que vous trouviez un petit moment en route pour me dire bonjour ; il faudra que vous en retrouviez un autre tout petit ce soir pour m’écrire un petit mot sur mon Livre rouge [2]. Enfin il faudra que vous en trouviez encore un autre pour vous laisser baiser par moi entre deux portes si vous ne voulez pas que mon baromètre se dérange et ne redescende du beau fixe au pluvieux le plus hideux. En attendant je vous baise en pensée et en espoir dix millions de milliards de fois.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16365, f. 33-34
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette