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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 février [1847], vendredi matin, 9 h. ¼.

Bonjour, mon doux bien-aimé, bonjour, mon âme, bonjour. Comment vas-tu ce matin ? Je baise toute ta chère petite personne endormie depuis les pieds jusqu’à la tête. Je me prosterne devant ton tableau le plus vivant avec adoration. Hier, je t’ai écrit à propos de bottes, aujourd’hui, je t’écris à propos de tout et de bien autres choses avec la certitude de ne pas te dire la moitié de ce que j’ai dans le cœur de tendresse et d’amour. L’infini de mon amour me fait comprendre l’éternité puisque les heures, les jours, les mois et les années ne suffisent pas à t’en dire la plus petite partie.
Quel affreux temps, mon pauvre petit Toto, et combien tes pauvres yeux vont souffrir de ce brouillard épais et âcre. Peut-être n’as-tu pas à sortir aujourd’hui, mais tu n’échapperas toujours pas à cet ignoble brouillard car il pénètre partout ; dans ce moment-ci, on ne se voit pas chez moi et tout le monde pleure, tousse et éternue à la fois. Tâche de te garantir le plus que tu pourras, mon cher adoré, pour te dérober à toutes ces mauvaises choses de l’hiver.
Je viens de voir Mr Michaud à qui j’ai dit tout ce que tu pensais de son Christ ; en même temps, je lui ai donné l’adresse de Didron [1]. Elle te remercie beaucoup, cela va sans dire. Moi, j’aurais mieux aimé gagner moi-même les trente mille francs, s’il y a lieu, que de les lui faire gagner. Voilà ma charité bien ordonnéea. J’avoue que je dérogerais avec plaisir à mes habitudes pour cette somme gagnée en une heure, je me ferais marchande avec enthousiasme et sans le moindre scrupule. C’est grand dommage que je n’aie pas eu trois mille francs à ma disposition. Voime voime, matame Chichi, il aurait vait tu gommerce [2]. Eh bien ! autant moi qu’une aute. Je ne vois pas pourquoi je ne m’enrichiraisb pas aussi. Décidément, je n’ai pas de chance et j’y renonce pour toujours. C’est ce que j’ai de mieux à faire.
Encore, si vous me donniez tout ce que vous me devez, je ne me plaindrais pas, bien loin de là, mais vous ne me payez pas à échéance, tant s’en faut, et vous ne me tenez compte d’aucun intérêt des intérêts, ce qui fait que je suis aussi pauvre de bonheur que d’argent et que d’esprit, ce qui est beaucoup trop. Quand je pourrai rentrer dans mon bien, je ne serai pas médiocrement heureuse, mais d’ici là il faut vivre. Voilà le plus difficile. Pour m’y aider, je me contente de peu, de très peu, d’excessivement peu, et je vous baise énormément.

Juliette.

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[Barnett et Pouchain]

a) « ordonné ».
b) « enrichirait ».

Notes

[1S’agit-il de la femme d’Adolphe Napoléon Didron (1806-1867) dont la passion pour le Moyen Age s’éveilla, dit-on, à la lecture de Notre-Dame de Paris, et qui fut nommé par Guizot, en 1835, secrétaire du Comité historique des arts et monuments ?

[2Juliette se moque parfois dans ses lettres de l’accent prussien de son beau-frère, Louis Koch, né à Lahr (Grand-Duché de Bade).

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