6 février 1877

Paris, 6 février [18]77, mardi soir, 6 h.

Il est bien rare, mon cher petit bien-aimé, quand j’ai manqué de temps pour t’écrire dès le matin, que je puisse le faire avant la nuit fermée. C’est ce qui m’arrive encore aujourd’hui. Il est vrai que j’ai fini de mettre le compte de janvier tout à fait au net et je te le donnerai ce soir. En attendant, j’inscris ici l’extra de la journée :

tonnelier…………………..……67 F. 50
table louée pour ta fête…………12 F.

total 79 F. 50 sans compter les menus extras tel que la journée de M^me Noël et la glace de [Boissierte ?]. Toutes ces choses au bout du mois font un total un peu gros mais il ne tient qu’à toi de le limiter à la proportion qu’il te conviendra. Quant à moi, je me fais forte, à partir de samedi prochain, de ne faire aucune invitation de mon chef afin de n’avoir pas à outrepasser tes intentions par une initiative importune. De cette façon tu ne pourras t’en prendre qu’à toi-même si tu excèdes la dépense que tu as fixée dans ton budget. Quelles fâcheuses restitus j’élucubre depuis quelque temps ! Autrefois je ne te parlais que de ton cœur et du mien. Maintenant je n’ai plus d’autre style que celui de ma cuisinière. Tout ce que j’ai encore de force, d’intelligence et de temps est consacré à la marmite et je n’ai plus d’autre but dans ce monde que de défendre unguibus et rostro [1]… de cuisine tes choux, ton veau, ton vin, ton lard, l’anse du panier contre l’avidité de tous et de toutes. C’est peut-être très utile et très vertueux, je ne dis pas non, mais j’aimerais mieux passer mon temps à t’adorer.

BnF, Mss, NAF 16398, f. 38
Transcription de Guy Rosa