Guernesey, 14 octobre 1861, lundi matin, 7 h. ½
Bonjour, mon cher petit matinal, bonjour des yeux, du cœur et de l’âme quoique vous n’ayez pas encore regardé une seule fois par ici. Bonjour, sourire, soleil, bonheur, amour. Je vous envoie tout cela d’un trait de plume dans un seul baiser.
Quel beau temps ce matin pour les émigrants et surtout pour nous qui restons à terre et qui nous aimons à poste fixe. Aussi si tu veux et si tu en as le temps, nous ferons une petite promenade tantôt. Je me dépêcherai d’avancer mon cher petit travail pour que je n’aie pas de remords tout le temps que je donnerai à la promenade. Il va sans dire qu’il ne faut pas que tu te déranges de tes occupations pour moi. Tu es en ce moment, plus encore que d’habitude, surchargé de travaux de toutes sortes, aussi ce serait péché que de te déranger pour t’occuper de moi. C’est donc du fond du cœur et le sourire sur les lèvres que je te supplie de ne rien t’imposer pour moi qui n’ai besoin de rien, en somme, si tu m’aimes et si tu n’aimes que moi. Mon Victor, mon bien aimé, mon adoré, ma vie, ma joie, mon âme, je te bénis. Je pense à ce soir, non seulement sans tristesse et sans défiance, mais avec bonheur et confiance. De ton côté, mon cher petit homme, sois à ton aise et n’aie aucune contrainte envers qui et pour quoi que ce soit. D’avance je te promets d’être la plus naturelle et la meilleure femme possible ! Je t’aime.
BnF, Mss, NAF 16382, f. 124
Transcription de Florence Naugrette