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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Caudebec [1], Hôtel du Commerce chambre n°2 et 3, samedi 26 septembre 1846 après-midi, 4 h. ¾

Tout mon être est tourné vers toi, mon doux adoré, les barques ont beau aller et venir, le soleil reluire sur la prairie, les paysannes affairées rire de leur plus gros rire et dégoiser leur patois le plus normand sous mes fenêtres, je n’ai d’yeux que pour l’horizon de Villequier, d’oreilles que pour le dernier mot que tu m’as dit en me quittant, de pensée que le souvenir de la journée d’hier, d’espoir que dans l’après dîner de demain. Vois-tu, mon adoré, dès que tu n’es plus là auprès de moi rien ne m’est plus plus, plus ne m’est rien [2]. Je suis comme un pauvre corps sans âme. J’ai beau faire et beau regarder, je ne m’intéresse à rien et je ne vois rien horsa le désir et le besoin de te voir. J’attends demain avec impatience, cependant je serai prudente car j’ai été dévisagée par toutes les femmes de Villequier qui revenaient du convoi de cette pauvre jeune femme. Avant mon bonheur je veux ta tranquillité. J’aimerais mieux mourir que de te causer un chagrin ou un ennui. Ainsi que j’en étais convenue avec toi, je suis entrée dans Caudebec et j’ai revu l’église. Tout cela m’a apparu comme dans un rêve et je ne sais plus déjà ce que j’ai vu. Je sais qu’en rentrant à l’auberge, j’y ai trouvé le corbillard dételé qui attendait que les chevaux et les croque-morts se soient reposés pour repartir à Rouen d’où on l’avait amené. La servante m’a appris que Mme de Villequier était morte d’une maladie qui est dans le pays depuis deux ou trois mois et qui fait les plus grands ravages. Peut-être eût-il été prudent de n’y pas laisser venir ta femme et ta fille et de n’y pas venir toi-même. Heureusement que nous repartons lundi matin car je sens que je n’aurais pas un instant de tranquillité si tu devais y prolonger ton séjour davantage. À demain mon adoré, soigne-toi, ne reste pas à l’humidité ce soir et couche-toi de bonne heure. Pense à moi, désire-moi et aime-moi, tu ne feras que ce que je fais de toutes mes forces et de tout mon cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 153-154
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « or ».

Notes

[1Juliette attend Victor Hugo à l’Hôtel du Commerce, à Caudebec, pendant qu’il est avec sa femme et sa fille à Villequier, chez Auguste Vacquerie. Ce jour-là, le 26 septembre 1846, il se rend pour la première fois sur la tombe de Léopoldine en compagnie d’Adèle.

[2Devise de la duchesse d’Orléans Valentine Visconti dite Valentine de Milan, en 1407, après l’assassinat de son mari le duc Louis d’Orléans, frère du roi Charles VI, par un homme du duc de Bourgogne Jean sans Peur. Elle fut gravée sur les murs du château de Blois.

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