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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 février [1847], jeudi matin, 9 h. ¾

Bonjour, mon petit bien-aimé, bonjour. Comment vas-tu, mon Toto chéri ? Tu n’es pas revenu cette nuit et je n’en ai pas mieux dormi, bien au contraire. Aussi ce matin je suis si fatiguée que je ne sais pas comment je ferai pour me faire arracher ma dent. Je t’écris cette grande lettre pour le cas où je serai trop fatiguée et trop souffrante ce soir. J’ai pensé aussi qu’il ne serait pas prudent d’aller à Lucrèce ce soir [1]. J’aime mieux réserver cette bonne occasion pour le jour où tu ne pourras pas me donner une seule minute de ta soirée et où je ne souffrirai pas. Je crois que c’est mieux arrangé ainsi. Et comme ta lettre n’a pas de date, elle pourra toujours me servir sans te donner la peine de la récrire.
J’espère que je te verrai tantôt avant que tu n’ailles à l’Académie. Il serait bon de prévoir le cas où je serais forcée de revenir directement à la maison, ce qui ne serait pas impossible avec les douleurs d’entrailles que j’ai encore aujourd’hui. Je voudrais te sourire mais la colique change mon sourire en grimace. Je t’aime, voilà ce qui est inaltérable. Je te désire et je t’attends, voilà ce qui ne varie jamais. Le reste suit le cours ordinaire de la vie et de la température. Quant à toi, mon Victor, ta vie est tellement occupée, et de choses si diverses, que l’imagination même a peine à t’y suivre. On t’admire et on s’inquiète tout à la fois. On ne comprend pas comment tu peux venir à bout de tant de travaux dont un seul suffirait à la vie d’un simple homme. Pour moi, cette prodigieuse activité et cette santé admirable tiennenta du miracle, cependant je voudrais que tu comptassesb moins sur ta divine organisation et que tu prissesc du repos et du loisir comme un homme vulgaire. J’en profiterais d’abordd peut-être un peu et à coup sûr je serais plus tranquille. Quand ce temps viendra-t-il ? Personne ne le sait, pas même toi. Il faut attendre. ATTENDRE ! quel affreux mot plein de déception et de dérision et qui se trouve comme une pierre d’achoppement à tous les rêves de bonheur, à toutes les espérances joyeuses qui s’élancent de mon cœur à toi. Oh ! je te déteste autant que je t’aime.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1847/08
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) « tienent ».
b) « comptasse ».
c) « prisse ».
d) « dabord ».

Notes

[1Lucrèce Borgia est reprise depuis janvier 1847. Pour sa création en 1833, Juliette Drouet tenait le petit rôle de la princesse Negroni.

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