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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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6 juin 1849

6 juin [1849], mercredi matin, 7 h.

Bonjour, mon cher petit ver à soie, bonjour. Tu te trouves bien, n’est-ce pas, de cette température de four à chaux ? Tu as raison, car excepté Méry, peut-être, personne ne serait de ton avis [1]. Quant à moi, je sue et je souffle comme un bœuf, non une marche de Luzarches [2], mais toutes sortes d’imprécations contre le temps et contre les chaudeurs absurdes de ce climat tempéré. Du reste si cela continue je ne pourrai bientôt plus sortir, car ce soleil ardent m’enflamme le visage au point de me donner d’affreux maux de tête et de m’empêcher de dormir toutes les nuits. Voilà trois nuits que je rallume plusieurs fois ma bougie et que je me promène dans tous les coins de l’appartement pour tâcher de trouver un peu de fraîcheur, et jusqu’à présent je n’ai trouvé que des punaises grosses comme des fèves, c’est effroyable. J’espère à force de vigilance et de propreté m’en débarrasser, mais jusque-là c’est révoltant. Dieu quelle délicieuse lettre ! Sans compter l’odeur de sang pourri qui vient des abattoirs, c’est charmant [3]. Taisez-vous, dormez et aimez-moi à feu et à sang.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 163-164
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse


6 juin [1849], mercredi soir, 11 h.

Cher adoré, je ne te verrai plus aujourd’hui et pourtant j’ai bien besoin de te demander pardon de ce mouvement de colère injuste et de violence stupide auquel je me suis livrée tantôt sans savoir comment et pourquoi. Je t’assure qu’il n’y a pas de ma faute et que je sens mieux que tu ne peux le souhaiter toute la bonté et toute la générosité de ta conduite envers moi ! Il faut croire qu’il y a des moments ou, par une singulière aberration d’esprit, je dis juste le contraire de ce que j’ai dans le cœur, mais à peine ces paroles amères sont-elles sorties de ma bouche que je les regrette de toutes mes forces et que je voudrais les rattraper au prix des années de ma vie. C’est ce qui m’est arrivé tantôt quand j’ai été si méchante, mais tu as été si bon, si ineffablement indulgent que cette incartade qui pouvait me faire un profond chagrin si elle t’avait vexé ne m’a laissé qu’un profond et doux sentiment de reconnaissance et d’adoration. Sois béni mon Toto, sois heureux, prends du plaisir et du bonheur partout où tu en trouveras pourvu que ce ne soit pas aux dépensa de mon pauvre amour auquel je tiens plus qu’à la vie. Bonsoir, adoré, bonsoir. Je baise toutes tes perfections les unes après les autres au risque de ne pas dormir de la nuit.

Juliette

MVHP, MS a8219
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « au dépend ».

Notes

[1Juliette Drouet fait ici allusion aux origines provençales du journaliste français.

[2Citation de la 10e strophe du « Pas d’armes du roi Jean », Odes et ballades, VII, 12.

[3Depuis novembre 1848, Juliette Drouet vit cité Rodier, entre les abattoirs de Montmartre, le square d’Anvers et la première gare du Nord. (Hovasse, p. 1063.)

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