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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 mai 1845

18 mai [1845], dimanche matin, 9 h. ½

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, mon petit Toto ravissant, bonjour, je t’aime, et toi ? J’étais bien réveillée cette nuit, cela ne t’a pas empêché de t’en aller tout de suite. Je ne grogne pas, mais je peux bien dire ça peut-être. C’est bien le moins. Pourquoi a-t-on fait la révolution de JULIETTE si ce n’est pour avoir la faculté de dire de temps [en] temps qu’on ne voit pas assez son Toto ? Voilà pourquoi je me suis fait TUERa à cette même révolution. C’est pour avoir le droit de vous RÉVOLUTIONNER à mon tour quand vous êtes des siècles sans venir et que vous vous en allez trop vite.
Je vous dirai que je me suis enduite de votre pommadeb et que je m’en trouve fort bien. C’est moi, du reste, qui vous l’avais enseignée. Toutes vos raffineries vous viennent de moi, malheureusement, puisque j’ai pris en sens inversec toutes vos IMPERFECTIONS. Maintenant je ne peux plus m’en dépêtrer, à mon grand dam et grand regret. Une autre fois j’y regarderai à deux fois avant de vous enseigner mes FICELLES et de prendre vos habitudes collégiennes. En attendant, vous possédez les miennes et j’ai les vôtres. Horreur ! Damnation ! Malédiction ! Baisez-moi, cher scélérat et soyez-moi bien fidèle si vous tenez à votre vie.
Tâche de venir de bonne heure aujourd’hui, mon Toto. Je t’ai à peine vu hier, quoique tu sois venu trois fois. J’ai besoin de me rabibocher aujourd’hui. Je t’attends de toutes mes forces et je te désire de tout mon amour. Je te baise, je t’aime, je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 189-190
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « je me suis fait tuée ».
b) « votre pomade ».
c) « sens invers ».


18 mai [1845], dimanche après-midi, 3 h.

J’ai beau te désirer, mon cher amour bien-aimé, tu n’en viens pas plus vite. Je me venge en t’écrivant le plus que je peux et en t’aimant de toutes mes forces. Je crois que tu travailles, mon pauvre bien-aimé, aussi je suis très raisonnable et très courageuse. Je ne me plains pas, je te souris et je t’aime à travers mon impatience que je ne peux pas modérer.
J’ai écrit à Claire tantôt [1] pour lui dire que j’irai la voir jeudi et qu’elle se tranquillise à l’endroit de son examen [2]. Dans le fond de ma pensée, je crains qu’elle n’échoue encore cette fois-ci. Mais je me garde bien de le lui laisser voir. Entre nous, ce serait très fâcheux, non pas tant pour les petits appointements auxquelsa elle aurait droit, que pour le découragement et le chagrin que cela lui ferait. Ce serait payerb bien cher une jeunesse dissipée et l’honneur de ressembler à Monsieur son père et à l’illustre PAIR Rambuteau de drolatique orthographe. Je ne parle pas de moi parce que mon ignorance n’est pas un fait qui ne soit entièrement personnel. J’aime à croire que si on m’avait mise à même l’écuelle de l’enseignement, j’en aurais pris suffisamment pour ma consommation particulière. C’est une idée que j’ai comme ça. D’ailleurs, qu’est-ce que cela te fait à toi, pourvu que je t’aime plein mon cœur, plein ma pensée et plein mon âme. Tu ne tiens pas à mon français plus ou moins bas breton et tu as raison. Baise-moi, mon Victor, et viens tout de suite si tu veux que je te sourie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 191-192
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « auquels ».
b) « payé ».

Notes

[1Juliette répond à la lettre de Claire : « (Saint-Mandé, 16 mai 1845) Ma mère bien aimée, / quand aurai-je le bonheur de te voir ? Je n’en sais rien car jeudi j’ai peur que tu ne le puisses pas. Quand je pense que je ne serai pas là le 21 et que c’est la première fois que ce bonheur m’aura manqué, je me sens le cœur bien triste. Il est bien vrai que c’est folie de désirer de vieillir puisque chaque année emporte avec elle un bonheur. Je travaille beaucoup et presqu’exclusivement aux études d’examen depuis que je sais que je n’ai plus que quinze jours ou trois semaines au plus avant ce jour qui me fait trembler. Je ne sais pas ce que je deviendrai si je ne réussis pas cette fois-ci. Mon père doit venir dimanche. J’espère le voir car je l’ai fait prier de ne pas venir de bonne heure […]. / Charlotte t’embrasse de tout cœur. Elle demande quand donc que tu viendras parce qu’elle serait bien heureuse de te voir. […] » (B.P.U., Ms. fr. 1312) (Siler, t.III, p.194).

[2Claire prépare l’examen pour devenir institutrice. Elle est convoquée le 5 juin, mais ayant mal lu sa convocation, elle arrive en retard et ne peut pas se présenter. Elle est de nouveau convoquée le 12 juin où elle échoue.

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